Traumatismes d'hier

Hughes et Anna Gauthier mènent avec leur fils Léo, dix-huit ans une existence des plus agréables. Elle est pharmacienne, il est chargé de projets culturels dans une municipalité du sud de La France. Leur fils, bon élève en terminale s’apprête à intégrer après le bac une école d’informatique. À l’abri de leur somptueuse villa qui donne sur la mer, Ils sont respectés dans leurs professions et font partie du gotha local.

Certes Anna est issue d’un milieu très modeste, contrairement à son mari, mais elle s’est facilement adaptée à une existence luxueuse, dont elle maîtrise tous les codes.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à un matin de mai où la gendarmerie fait irruption à six heures et embarque Léo.

Après le déni, c’est la stupeur : dans une manifestation de gilets jaunes, leur fils a sérieusement blessé un policier. La vidéo de l’agression tourne en boucle sur les réseaux sociaux. Le garçon se défend : il voulait simplement protéger une amie molestée par les forces de l’ordre. Dans un climat social extrêmement tendu, il est placé en détention préventive. 
La petite amie supposée est partie faire de la plongée au Mexique tandis que les meilleurs copains de Léo sont aux abonnés absents, bien protégés par leurs familles. L’adolescent découvre l’univers carcéral, soutenu par sa mère, alors que son père profondément choqué et désireux de ne pas perdre sa place dans la société est beaucoup plus réticent à courir les parloirs.
Dans l’épreuve, la belle image familiale se lézarde. D’un côté Anna qui devant la sauvagerie de la prison et de ce qu’elle découvre de son milieu social, voit ressurgir du plus profond d’elle-même une faculté d’adaptation qu’elle avait oubliée ; de l’autre Hughes, arc-bouté sur ses certitudes.

Dans Un tesson d’éternité, Valérie Tong Cuong décrit la chute d’une famille, analyse avec précision le moment où les apparences volent en éclats, où le poids du passé, de l’hérédité prend le pas sur la construction sociale. L’héroïne apprend que son fils qui n’a jamais connu ses grands-parents maternels ni sa propre enfance douloureuse se drogue depuis longtemps. Pour supporter un milieu dans lequel il se sent comme un intrus, comme s’il avait conscience d’un secret de famille.
Elle pose avec acuité la question de l’inné, de l’acquis. Qui sommes-nous, que transmettons-nous ? Ce que nous voulons de mieux pour le bien de l’enfant ou ce qui s’impose malgré tout par les liens du sang ?
Mêlés à l’amour inconditionnel d’une mère, les traumatismes d’hier refont  surface et balaient avec eux toute tentative d’élévation sociale, toute aspiration au bonheur et conduisent à un constat et à un dénouement d’une rare et violente justesse.

Brigit Bontour

Valérie Tong Cuong, Un tesson d’éternité, Jean-Claude Lattès, août 2021, 268 p.-, 20 €

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