Valérie Trierweiler, Le secret d’Adèle : le destin d'Adèle Bloch Bauer

Il y a du madame Bovary dans le personnage d’Adèle Bloch Bauer : elle est belle, elle s’ennuie, ne trouve pas grand sens à sa vie. Quelques variantes aussi : l’autrichienne est beaucoup plus  instruite  et riche que la normande, beaucoup plus sensible aux idées nouvelles de l’époque, à la misère des autres même si elle ne fait pas grand-chose pour y remédier, se contentant de donner un peu de son temps, un peu de son argent aux pauvres, des affaires de son bébé mort après quelques heures d’existence.

Quand elle sort de sa chambre douillette où elle pleure beaucoup, rêve et lit, Adèle reçoit le tout Vienne dans les salons de son hôtel particulier : Schnitzler,  Von Hofmannsthal,  Zweig, Strauss, Mahler, Freud, Klimt.

L’affaire Dreyfus, Les trois essais sur la théorie sexuelle de Freud sont au centre de toutes les conversations.

Elle  s’enflamme pour le combat des suffragettes, se passionne pour l’idée de la dictature du prolétariat, admire Léon Blum et Rosa Luxembourg ; déplore la « pauvreté qui à Vienne prolifère comme une lèpre », se désole de vivre dans un palais alors qu’il n’y a plus de logements en ville.

Comme madame Bovary, elle prend un amant, et ça se passe mal. Il est prestigieux. Il s’agit de Gustav Klimt, le peintre viennois des années 1900, celui qui a peint la Dame en or, le portrait d’Adèle, justement. Un des plus célèbres tableaux de l’histoire de l’art, volé par les nazis, restitué après des années de lutte. Lors des longues séances de pose, elle est fascinée par la virilité et l’audace de celui dont on ne compte plus les maîtresses ni les enfants naturels, éblouie par le talent du peintre qui vient d’un milieu défavorisé. Elle succombe à la passion sans rien changer dans sa vie, son mari étant toujours aussi amoureux d’elle et particulièrement aveugle.

Adèle Bloch Bauer pourrait passer pour une grande bourgeoise vaine qui se plaint beaucoup mais sous la plume de Valérie Trierweiler, elle s’avère être une femme de son temps, plutôt en avance même, dont le drame est de ne pas réussir à  avoir un enfant.  Pétrie de contradictions, elle est avant tout humaine. Elle ne met certes pas ses idées en pratique, mais dès qu’elle aborde le sujet du droit de vote ou son admiration pour la lutte des femmes, son mari la rabroue sèchement : « Ces questions requièrent un sang-froid que la gente féminine ne possède pas. »

Alors entre indolence et indignation, s’écoule l’existence d’une femme du début d’un vingtième siècle déjà cerné par l’ombre.

L’auteur qui imagine la liaison entre la jeune femme et le peintre a choisi un personnage  emblématique d’une société viennoise en plein bouillonnement intellectuel, avec l’invention de la psychanalyse,  la révolution picturale incarnée par la Sécession viennoise ou les livres de Roth, Musil, Zweig ou Schnitzler. Emblématique également  de ces années où se jouaient déjà les tragédies du siècle naissant avec les réfugiés des pogroms qui affluaient, la montée de l’antisémitisme, la défaite du pays en 1918 suivie de la dislocation de l’empire. Hitler né en Autriche n’avait que sept ans de moins qu’Adèle Bloch-Bauer qui mourut à quarante trois ans en 1925. La concordance est glaçante, le monstre a été élevé et a vécu dans ce monde-là.

Le livre qui décrit la fin de cette époque à travers la personnalité d’une femme aussi fine et sensible qu’Adèle Bloch-Bauer est une grande réussite.

Brigit Bontour

Valérie Trierweiler, Le secret d’Adèle, Les Arènes, mai 2017, 298 pages, 20 €

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