"Devoir d'intervenir?", aux orgines de l'humanitaire

Les interventions humanitaires sont une des caractéristiques de notre temps. Ce livre de Yann Bouyrat, spécialiste des relations entre la France et le Liban, propose ni plus ni moins que de remonter aux origines de cette pratique en proposant une date - 1860 - et un lieu - le Liban - pour le moins iconoclastes. Car pour la plupart des admirateurs comme des contempteurs des interventions militaires humanitaires, tous s’accordent pour proposer la guerre du Biafra (1967-1970) et la création de médecins sans frontières en 1971 comme point de départ. Pourquoi ce choix ?


Une pratique ancrée dans le long terme ?


Yann Bouyratpropose une grille de lecture assez stimulante. Il note comme caractéristique de l’intervention au Liban le rôle de l’opinion - et de la presse, catholique comme républicaine -, le désintéressement - au moins à court terme- de la France et le « mandat » donné par les grandes puissances, à la grande réticence de la Grande Bretagne. Rappelons le contexte : après une vingtaine d’années de conflits semi larvés entre chrétiens maronites et druzes, ces derniers prennent l’offensive, bénéficiantde la neutralité bienveillante des gouverneurs ottomans, et massacrent des milliers de civils chrétiens. Ces violences provoquent un tollé en Europe, d’où l’intervention française. Un des grands mérites de l’auteur est de rappeler à quel point la France fut seule, en butte continuelle à l’hostilité anglaise - ceux-ci favorisaient leurs clients druzes, les français protégeant les maronites - pour tenter d’imposer ses solutions. Mais furent-elles les bonnes car elles favorisèrent à court terme la confessionnalisation extrême du pays, une des causes de la guerre du Liban (1975-1990) ?


La première, vraiment ?


L’auteur cite Saint Augustin quand il parle de l’émergence d’idées humanitaires, soit. Et de toute manière, un des mérites de l’ouvrage est de montrer qu’en tout cas au 19èmesiècle naissent ces idées. Mais que dire par exemple de l’intervention en Grèce en 1829 ? On pourrait ensuite objecter que l’intervention française au Liban s’inscrit dans un temps long de l’influence française au Levant, que des caractéristiques « précoloniales » s’y retrouvent et que tout cela culminera dans le mandat donné à la France par la SDN. L’auteur ne l’ignore pas car, selon lui, derrière le motif humanitaire se cache souvent larealpolitik ainsi que l’idéologie, voire la manipulation des opinions. A bon escient, il rapporte par exemple dans son introduction la « réalité » des massacres perpétrés par les Serbes contre les Albanais au Kosovo, réels mais insignifiants par rapport à l’accusation de génocide en cours dans les médias à l’époque. En 1860, derrière les motifs humanitaires se cachait aussi la lutte d’influence entre France et Grande-Bretagne.

 

Interventions humanitaires : le paravent des grandes puissances ?


Aujourd’hui, le « devoir d’intervention » (afin de protéger les populations,notamment invoqué lors des récentes interventions en Libye et au Mali) a prisla place du droit d’ingérence si cher, dans les deux cas, à certains French Doctors et à leurs mentors. Ila de surcroit été reconnu par l’héritière de la SDN, l’ONU : une telle évolution des mentalités et des politiques, débutée dès après la chute du mur de Berlin, et dont on trouve les premières réflexions autour de la première guerre du Golfe, s’impose finalement dans les enceintes internationales.Elle libère les acteurs de la double contrainte d’un vocable qui, d’une part faisait référence à un « droit » auto proclamé et, d’autre part, à une « ingérence » qui reconnaissait finalement la souverainetéde l’Etat dans lequel on souhaitait intervenir, fusse pour des raisons humanitaires ou morales. Le « devoir » devient maintenant un impératif, et l’intervenant n’a que faire de la souveraineté de l’Etat dans lequel il veut agir, du moment qu’il a les bons soutiens à l’ONU. Ne se cache-t-il pas, derrière ces interventions, l’ingérence de grandes puissances guidées par leurs seuls intérêts, géopolitiques,sécuritaires et économiques ? Somme toute, et n’en déplaise à certains penseurs qui, à l’instar de Bertrand Badie, voient la fin d’une vision basée sur des rapports de force entre puissances, héritée des traités deWestphalie dans les relations internationales, rien de changé depuis 1860 ?


Un ouvrage stimulant, donc. A méditer.


Sylvain Bonnet


Yann Bouyrat, Devoir d’intervenir ? L’expédition humanitaire de la France au Liban 1860, Editions Vendémiaire, 320 pages, mai 2013, 20€

1 commentaire

Le Liban avant-hier, la Syrie aujourd'hui. Décidément ce coin du monde, comme les Balkans, devrait être déclaré par l'ONU  zone de non droit une bonne fois pour toutes, on y laisserait tous ces extrémistes tribaux et nationalistes s'exterminer entre eux, et on aurait la paix.
Nos intellos mondialo-interventionistes qui demandent instamment qu'on envoie les enfants des autres se faire trouer la peau dans ces coins pourris au nom des grands principes et de la morale ne sont cependant que les émules de l'un de nos plus grands poètes-écrivains : l'échevelé F.R. de Chateaubriand, l'inventeur du romantisme en politique, de l'indignation médiatique , et de la montée en sauce orchestrée de l'opinion publique. .