Véronique Bergen : les premiers pas

Ce livre répond a contrario à l’expérience littéraire première de Véronique Bergen. Elle la fait passer ici plus par le roman que par la poésie où, dans sa jeunesse, elle estimait que l’expérimentation était plus grande. Elle prouve en conséquence dans les Premiers fois que le récit ramasse un ensemble d’émotions ou d’idées en un espace littéraire où la sémantique peut être complètement bousculée.
La forme romanesque est un brasier : le magma psychanalytique, la poésie et la philosophie sont présentes en filigrane mais les cloisons étanches ont disparu. L’émotion apparaît ici en des glissements de plans au moment où la brûlure et l’incandescence sont là et avant que des renversements s’opèrent.
Ainsi les "premières fois" devient le moment où "le père brûle" et parfois la mère aussi. D’autant que souvent le premier se cache derrière la seconde...
Bref te tels moments sont des retours aux sources, avec pour seul espoir : que soit démenti la fameuse phrase de Michaux : "Au commencement la répétition."
Il s’agit de tordre la continuation du même filon. Ou du filon du même.
Il s’agit – et contrairement aux héros de Beckett – de ne pas mourir avant d’être. Au besoin en caressant les paradoxes les plus nombreux des rhapsodies de ceux et celles qui sont chère à la créatrice : les enfants sauvages et les anges bleus.
Leur sexe est fléché par ce que l’écriture dévoile tout en voilant.
Ajoutons que ce roman n’est pas un déballage.
Véronique Bergen se refuse à certains traitements affectifs et attendus au profit d’autres zones d’ombre sans faire de la littérature une espèce de catharsis, de table confessionnelle.
Le vécu n’a de sens que s’il est remanié, transformé, s’il s’intègre dans une autre visée et devient une passerelle vers l’autre. Exit le déballage.
Oui au fouillir dont le livre décline nébuleuses et éclats.
Des ravissements, dépossessions, fascinations de l’herméneutique de l’amour sous diverses formes, la créatrice démonte un réveil comme angoisse par rapport à l’altérité au moment où le premier "pas" fait que tout échappe. Dans un tel livre la narratrice est dans une activité perpétuelle de déchiffrage et de décodage, de déprise et de reprise. Elle agit par le mouvement même de l’écriture au moment même où l’être est "déporté" (et on sait ce que représente ce mot pour l’auteure) vers des terres qu’il ne voulait pas forcément aborder.
L’effet est redoutable, dangereux, voluptueux,sidérant.
Avec sa part de plaisir et forcément d’angoisse.
Jean-Paul Gavard-Perret
Véronique Bergen, Premières fois, Éditions Edwarda, 2017
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