Interview. Véronique de Bure : "La vieillesse est un sujet qui m’a toujours passionnée"

A l'occasion de la parution du Clafoutis aux tomates cerises, roman émouvant sur la vieillesse, rencontre avec Véronique de Bure


— Pourquoi avoir choisi ce sujet à priori douloureux de la vieillesse ?

Je ne considère pas que l’âge soit un sujet douloureux. Je le connais bien, toutes les amies de ma mère dont je suis très proche ont entre 80 et 100 ans. Je souhaitais parler de ces femmes qui ont une belle et vraie vie, et dont on ne parle quasiment jamais. On a peur de l’aborder alors que c’est un moment de l’existence à découvrir.

En adoptant le point de vue de Jeanne qui a 90 ans, j’ai découvert une manière de vivre plus légère et des chagrins plus doux. Peu à peu, on apprivoise la mort, on ne la considère plus comme un drame. Jeanne et ses amies aiment la vie mais elles savent que celle-ci peut s’arrêter du jour au lendemain, ce qui leur donne une grande liberté. Elles sont complètement dans la vie, une existence à leur mesure, certes un peu rétrécie : elles voient moins bien, elles vont moins loin en voiture, sont un peu perdues avec la technologie, mais elles s’adaptent et, surtout, ne sont jamais dans la nostalgie de leur jeunesse. De cette façon, elles voient les belles choses : le cycle des saisons, leurs rencontres, les petits verres de blanc qu’elles boivent en jouant aux cartes, les visites de leurs proches. Les problèmes de santé, surtout Alzheimer, sont beaucoup plus effrayants que la mort.

Les vieilles dames de mon roman sont, il est vrai, privilégiées : elles sont en relative bonne santé et vivent toujours dans leurs maisons, contrairement à ce que l’on nous montre souvent, des gens âgés désocialisés, malheureux, achevant leur existence dans des maisons de retraite qu’ils n’ont souvent pas choisies.

Écrire sur la fin de vie m’a rassurée. Je comprends mieux à présent la phrase que me répète souvent ma mère : "Ce qui te fait si peur aujourd’hui ne te fera pas si peur plus tard". C’est très rassurant d’imaginer finir son existence en douceur, d’arriver sereinement à la mort.


— Diriez-vous qu’il faut une sorte de courage pour aborder ce thème ?

Non, je ne dirais pas cela car la vieillesse est un sujet qui m’a toujours passionnée, qu’elle me fasse peur ou m’émeuve. Je pensais écrire sur le grand âge depuis longtemps mais je n’osais pas. Il aura fallu une éditrice qui, parfaitement dans son rôle, m’a poussée à y aller. J’ai alors repris une phrase que j’avais écrite il y a quelques années, « J’ai passé l’hiver », et je me suis lancée. J’ai imaginé ce qui pourrait être le journal, un peu à la Brigdet Jones, d’une femme de 90 ans. Bien sûr, il n’était pas question de lui inventer des amours, des liaisons ! Non, ce serait un journal dans lequel il ne se passerait « rien ». Rien d’autre que la vie quotidienne, les réflexions notées au fil des journées. Et il semblerait, quelques jours après sa parution du roman, que ce « rien » plaise aux lecteurs.

J’ai eu la chance de rencontrer des personnes âgées fabuleuses, dont Jean Guitton ou Andrée Chedid. J’avais d’ailleurs invité cette dernière à écrire un livre qui aurait été une longue lettre à une jeune fille, où elle lui aurait dit, avec son talent de poétesse, pourquoi elle ne devait pas redouter l’avancée en âge. Malheureusement, Andrée n’écrirait jamais ce texte que j’aurais tant aimé lire.

J’aime particulièrement la compagnie des personnes âgées, il me semble qu’elles m’apportent un supplément de mémoire et c’est merveilleux.


— Avez-vous la nostalgie de la Douce France de votre enfance ?

Oui, j’ai la nostalgie de ces années qui incarnent pour moi une insouciance à jamais perdue. Il n’y a qu’à réécouter les artistes de variété de l’époque, leur unique préoccupation semblait être l’amour : je t’aime, je ne t’aime plus, est-ce que tu m’aimes ? Alors qu’aujourd’hui, la musique s’empare de sujets sombres, évoquant la peur du lendemain, la violence, la dépression, le chômage…

En me mettant dans la peau de Jeanne, j’ai redécouvert la douceur et la lenteur, j’ai regardé couler le temps sans m’affoler, j’ai mis mes mains dans celles de Jeanne pour éplucher des marrons et faire des confitures, je me suis glissée dans ses pensées, j’ai fait avec elle des mots croisés et des patiences. Le monde de Jeanne est un monde quasiment disparu sauf, justement, dans la tête des gens très âgés.


— Avez-vous écrit ce livre à partir de notes, de souvenirs, de documentation ou votre imagination a-t-elle été prépondérante ?

Mes souvenirs et mon imagination m’ont été très utiles, mais aussi les conversations avec ma mère. En me mettant dans la peau de son personnage, je lui prête parfois des idées qu’elle aurait pu avoir. Ses réflexions sur la cryogénisation, par exemple. Celles aussi sur les GPS, les portables, internet. Je reprends sa façon de parler, ses peurs, ses obsessions. Ses mots sont un mélange de ce qu’elle pense, ce qu’elle dit et mon propre ressenti. Ma mère a lu le livre, elle m’a dit l’aimer, tout en se demandant, perplexe et dubitative, qui son quotidien pourrait bien intéresser !

Quant à la documentation, je m’en suis surtout servie pour savoir quand et comment poussaient les fraises ou les haricots ! C’est que l’écriture sous forme de journal est très contraignante, il ne faut pas se tromper de mois en ce qui concerne le potager !


— Comment avez-vous trouvé cette fin magnifique, en forme de métaphore ?

Elle s’est imposée à moi alors que je n’étais qu’à la moitié du roman. Je me suis souvenue d’un poème de William Blake, Le voilier, et je me suis laissé guider par la beauté de ces vers et l’émotion qui me saisissait. C’est une fin complètement raccord avec le livre, je l’ai voulue très douce. C’est un nouveau voyage ou ça ne l’est pas. Au lecteur d’y voir ce qu’il souhaite…


— Envisagez-vous une suite ?

Non, bien sûr ! J’ai commencé un texte sur la relation mère-fille. J’aimerais aussi écrire quelque chose de plutôt drôle, un récit ou un roman dans lequel, cette fois, mon père aurait le rôle-titre.


Propos recueillis par Brigit Bontour


Lire la chronique sur un Clafoutis aux tomates cerises

3 commentaires

Je tiens à m adresser à vous, je suis entrain de lire < un clafoutis aux tomates cerises > ... j ai 70 ans.. ce livre me bouleverse.. j y retrouve plein de choses qui me concernent, même si j ai 20 ans de moins que Jeanne, j aurais aimé pouvoir écrire ce livre... je faisais un petit journal, mais j ai perdu ma fille de 35 ans il u a 3 ans, qui s est suicidée... la douleur est innommable... j ai mon fils qui a 43 ans, et nous sommes très fusionnels, il adorait sa sœur, mais j ai arrêté d écrire... j ai envie de recommencer... mais j’en ai pas le courage... .

Merci pour ce livre qui me plonge parfois dans la nostalgie, mais qui m aide à voir ce qui me reste de ma vie d une manière plus... calme dirons-nous... 

si je pouvais avoir une petite réponse de votre part, ce serait merveilleux... 

C'est un excellent livre.

 

Un livre dont je suis désolée d'avoir terminé la lecture !

Un livre que j'aurais pu écrire tant j'adhère complètement aux idées exprimées par Jeanne, sur tous les sujets évoqués. 

Un livre rassurant, qui apaise les angoisses que peuvent éprouver les personnes âgées vis-à-vis de la mort. J'ai beaucoup apprécié l'humour discret, et l'optimisme qui se dégage subtilement de l'évolution des souvenirs de René, passant d'une lucidité parfois amère à une bienveillante affection.

Vieillir comme elle n'est pas un naufrage, c'est une bénédiction !