Le temps à l’état pur - Véronique Sablery

Accouplées aux ombres quelques lignes de lumière  brûlent sur le corps longiligne et faiblement évasé d’un vase au verre translucide. L’image n’entre pas en lui, elle le devient là où les minces coulées de clarté déversent une montagne de silence.


Dès lors contrairement à ce que Diderot écrivait - "l'image, dans mon imagination, n'est qu'une ombre passagère" - chez Véronique Sablery elle devient pérenne. L’artiste fomente un lieu des recommencements aux aubes crépusculaires qui restituent à la photographie sa dignité « rupestre », sa force de hantise. 


Plutôt que de recenser les lueurs claires et sombres de sa propre existence la créatrice propose celles du monde à travers des éléments simples (verre, main par exemple). Là où la lumière s’absente demeure son prolongement dont l'écume  provoque une douceur. Elle rappelle  «  Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère... mais il peut faire languir » (Purcell).


Au bord de son ellipse la clarté vibre encore afin de trouer la peau de l’inconscient pris soudain au dépourvu. Car dans chaque photographie il existe un voyage aux abîmes du temps. Véronique Sablery n'ignore rien de ses déferlantes mais elle n’en fait pas une montagne. Son exigence impose toujours à ses œuvres une forme d'ascèse pour atteindre un intensité aussi pure que retenue.


La photographe ne conserve que des incisions de lumière propres à créer une densité aérienne de surface afin d’ouvrir des profondeurs.  L'espace devient au delà ou en deçà du réel. Mais l’ariste en fait sentir la présence par des « vestigiae » de lumière. Elles ne sont pas des restes mais des apories du monde dégagé de l'événementiel désordre.


Pour connaître l'espace il faut donc se promener dans de telles images et en éprouver l’émotion première en suivant les lignes, leurs minces charges, leur suspens. Entrer dans cet espace c’est rentrer dans la lumière à la fois blanche et noire si bien que l’artiste pourrait sans doute affirmer "La nuit se pend encore à cela qui me hante". 


Voir le visible ne suffit plus. L'artiste nous entraîne plus loin. Là ou l'œil est  ému par l'impact du monde dont la créatrice continue de chercher la cause première et  le pressentiment d'un mystère dont rien pourtant ne sera donné - rien ou presque.

C’est donc lorsque les images se dérobent que pour l’artiste le travail peut réellement commencer. Le besoin de créer est lié à l'approche de ce point où, de l’art, il ne peut rien être dit, où l'on sait qu'en continuant ainsi on se perd mais que la création débute qu'en ce point.


Une "chair" affleure, un fantôme de chair en des éclats précieux et parcimonieux. Les formes parlent comme arrachées à la matière afin de mettre en branle la part obscure du monde. Elles sont aussi errantes que fixes dans le silence devenu espace. Une seule question demeure : Serons-nous un jour au bout des indices proposés par l’artiste  ?


Jean-Paul Gavard-Perret


Véronique Sablery, Ombres fugitives Photographies et impressions numériques sur plaques de verre, « La Croisée » - Andrée Dantu-Saïet, Caen, novembre-décembre 2013. 

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