Véronique Sablery : éloge du secret

Véronique Sablery instaure une sorte de déconstruction du couple images / supports pour traquer l’impensé loin du dogmatisme péremptoire de l'art.  Parfois ces images soulignent d’un trait fuyant les zones fragiles où l’incertain se doit d’être mesuré plus que débouté.
D'où les questions portées par la créatrice : qu'appelle-t-on image ? Quand a-t-elle lieu, Où et comment ?

Surgissent des présences intangibles et secrètes qui commandent une sorte de mystique (mais pas que) artistique. Il doit puiser dans une obscurité concertée et diverses histoires afin de les approcher. Tout le problème de l'art chez la plasticienne réside ainsi dans la découverte des moyens de cette quête.

Au départ de celle-ci se tient l’évidence que le monde comme l'être sont des entités entamées par le sens absent du dehors qui échappe par avance à toute saisie et ne se laisse entrevoir que dans une phénoménologie problématique. L'œuvre s' y replace et en même temps veut s’en extraire. Si bien que le sens de la vue y devient vacillants parce que l'image se donne comme "douteuse" dans sa construction, assemblages ou ses flous. Elle est un soutènement aussi authentique que fuyant.

Il s'agit d'ordonnancer l'image à cette part obscure de l’expérience, celle qui se déploie à l’écart de tout possible et qui défie, en conséquence, toute visibilité. Cela ne signifie pas qu’une image ne puisse lui être consacrée ; mais elle doit se déployer, au même titre que son objet, dans un espace ou un agencement sinon impossible du moins différent.

Refusant de la sorte l’illusion d’une consistance de l'image, c’est leur forme et leur apparence telles qu’elles surgissent que Véronique Sablery vise. Les contenus s’évident au profit des formes qui les portent.  La chimère est donc retournée sur elle-même la où la re-présentation est dérobée ou maquillée d'adjuvants dans ou hors cadre. D'où cette différence essentielle – celle que  Derrida nomme "différance" – qui est la condition même de la re-présence du réel ou de l'histoire de l'art. La "différance" est donc bien le fait que l'image est déjà autre chose qu'elle-même et se tient ailleurs que dans sa propre présence et son identité.

La "vraie" présence se donne dans la différence, dans la non-coïncidence ou la coïncidence défaite. Le but et la chimère de l'image se tiennent là : accueillir la différence et l'évanescent. Un tel art  est celui de la mue. Sa fonction est moins de  révélation que de garde de secret. L'image, son support ou son écran s’apparente ainsi à l’invisible même. Ce qui est caché, s’ouvre à l’attente, non pour se découvrir, mais pour y rester caché. Le secret s’essentialise là où les verrous et serrures s’accumulent.

C'est dans un jeu de renvoi que l'oeuvre de Véronique Sablery  laisse apparaître sa véritable nature. Sans le moindre consentement ou duplicité à l'égo ou au déboutement de l'intime, l'image se voit contrainte à saisir un phénoménal singulier et comme objectal.  L'image qui vient et se dilate de diverses manières  retourne à l’état latent qui devient son véritable enjeu. Si bien que suggérer du mystère  ne se réduit pas à céder aux Sirènes du mystère qui tentent de séduire le spectateur.
Tout se joue entre un vouloir et non vouloir montrer, se dérober à l'image en la créant.

Véronique Sablery semble alors soumettre ses images au phénomène de "discohérence" ou de  cohérences contradictoires ou défaites entre dédoublements ou adjonctions pour marquer divers jointures/césures  et comme sans amarre ni dans le sujet ni dans l’objet. Néanmoins dans ce "refus".
ll n'existe dans l'œuvre rien d'inaccompli – bien au contraire. La présence ressortit plus au processus de l’absentement qu’à l’absence proprement dite. Bref l'artiste laisse voir par un entrevoir.

Partout, chez elle le réel se heurte aux limites de l'art, l'inverse est vrai aussi. Pour autant l'image n'est pas reléguée au rang d’une tapisserie qui ne pourrait que couvrir d’une surface factice une lacune fuyante. Elle n'est pas condamnée à une impuissance. Elle permet de parvenir au cœur de cette vérité : l'opacité du secret là où la saisie du réel se crée par aporie. Véronique Sablery exhibe de ce fait tous les simulacres et toutes les failles du récit iconographiques, souligne les lignes de fissures qui viennent déchirer de l’intérieur la quête d’une saisie du monde.  L'image montrée plus que "montrante" transforme  l’espace. Existe donc attente et oubli là où aux repères visuels se mêlent des concrétions exogènes. 

Attendre semble signifier pour la créatrice la remise d’elle-même à une histoire plastique qu'elle  mène à bien dans sa marche progressive vers un but arraché lentement à la "distraction" initiale sans laquelle pourtant il n'aurait pas eu lieu. Au  commencement se tenait l’attente où le récit des femmes devient possible avec la naissance de l'image. Mais avec les déchirements inhérents aux unes et à l'autre dans l’économie esthétique de la créatrice qui d'une certaine manière se définit comme neutre. Mais c’est ainsi en empruntant la logique du chiasme autobiographique que Véronique Sablery se met en communication avec l'intime. L'image en le dispersant le rassemble. Dans la pulsion fondatrice comme le désir obsessionnel de l’oubli se redéfinit la préservation du temps relié à la richesse d’un langage plastique d'exception.

Jean-Paul Gavard-Perret

Véronique Sablery, Bernard Noël, Un regard en abîme", Dana, 2020

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