Voyages et lectures, de Louis Veuillot : une promenade décapante

Louis Veuillot aurait eu deux cents ans cette année, le 11 octobre. Un anniversaire que les grands media prompts, d’ordinaire, à se mobiliser pour toutes sortes de célébrations, se sont gardés de rappeler. Fêté sans doute, mais à petit bruit, par ceux, rares, qui gardent encore le souvenir de cet écrivain bien passé de mode. Sulfureux, pour tout dire. Y compris pour la majorité des catholiques, s’ils connaissaient seulement son existence. Car ce fieffé réactionnaire ne se serait sûrement pas reconnu dans ce qu’est devenue l’Eglise postconciliaire de notre époque.

 

Grand polémiste, directeur du journal L’Univers, ultramontain résolu, il milita activement pour la liberté de l’enseignement, défendit l’infaillibilité du pape, se détermina en politique selon l’attitude envers l’Eglise des différents gouvernements. Ainsi de son hostilité envers le Second Empire qu’il avait d’abord soutenu, dès lors que Napoléon III manifesta un penchant pour les idées libérales. Sa critique dirimante, dans L’Univers, de la politique italienne de l’Empereur vaudra du reste au journal une interdiction de paraître entre 1860 et 1867.  

 

 Il va sans dire que si les positions de Veuillot lui suscitent des adversaires aussi acharnés qu’il peut l’être lui-même, il compte aussi des partisans déterminés. La basilique du Sacré-Cœur de Montmartre en témoigne. Elle abrite un monument à lui dédié, érigé en 1898. Il y est entouré des allégories de la Foi et de la Force tandis que l’arrière plan évoque deux de ses livres, Le Parfum de Rome et Les Odeurs de Paris.

 

En outre, et abstraction faite de ses convictions religieuses qui influent souvent (trop souvent ?) sur son jugement esthétique, écrivain fort estimable que Thibaudet tenait pour « le plus grand journaliste du XIXe siècle ». Grand voyageur, critique littéraire et artistique, il laisse une œuvre considérable, dont vingt-deux volumes de Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. Non moins copieuse, sa Correspondance qui compte quelque douze volumes.

Il a trouvé en Benoît Le Roux un zélateur passionné et avisé, deux qualités qui vont rarement ensemble. Autrement dit, cet universitaire à qui l’on doit un Louis Veuillot : un homme, un combat (Téqui, 2005) n’abdique jamais la rigueur qui sied au chercheur. Pas un fait qu’il ne justifie, d’argument qu’il n’étaye, de source qu’il ne cite. Son admiration justifiée pour l’écrivain ne lui fait jamais cautionner aveuglément toutes les prises de position de celui-ci. Il ne tombe jamais dans l’hagiographie. Rare mérite, s’agissant d’un auteur aussi engagé que l’était Veuillot.

 

De telles qualités de rigueur se retrouvent dans l’ouvrage qu’il nous propose aujourd’hui. Intitulé Voyages et lectures, un choix de textes puisés dans l’ensemble de l’œuvre, livres et brochures, mais aussi papiers inédits et correspondance. Une matière profuse dont Le Roux extrait le suc et qui permet de suivre l’écrivain à l’étranger, Rome, la Suisse, l’Algérie sur les pas de Bugeaud, et aussi  à travers les provinces françaises la Bretagne, la Savoie, Agen, où il rencontre le poète Jasmin, Lourdes, l’abbaye de Solesmes ou encore Strasbourg. Sans oublier Paris où ses pas le portent notamment, le 2 septembre 1867, aux funérailles de « ce pauvre Baudelaire ». L’année précédente, un passage au Café chantant, sur les Boulevards, lui a inspiré ce jugement sévère : « Le voyou, le Parisien naturel, ne pleure pas, il pleurniche ; il ne rit pas, il ricane ; il ne plaisante pas il blague ; il ne danse pas, il chahute ; il n’est pas amoureux, il est libertin. »

 

Parfois, la rigueur le cède à une satire plus légère : « Les Bâlois font la banque avec ivresse ; tandis qu’ils calculent, comptent, supputent, agiotent, entassent l’or pour le revendre, les Bâloises s’ennuient beaucoup. » Quant aux rencontres, avec Metternich, avec Guizot, elles sont rapportées avec une vivacité qui témoigne que notre polémiste possédait du dialogue un art consommé. Avec celui de camper en quelques phrases ses interlocuteurs.

 

Le critique littéraire se montre souvent aussi tranchant, aussi intraitable que son contemporain Barbey d’Aurevilly : Hugo, une de ses bêtes noires qu’il qualifiera ailleurs de « pauvre affreux vieil Hugo » ? « Retenu par son esprit descriptif, tandis qu’il s’arrête au détail, l’objet principal le fuit. » Renan ? « M. Ernest Renan a l’honneur d’être actuellement le représentant le plus illustre de l’athéisme français (…). C’est une très belle position, et d’un certain rapport en librairie. » Musset ? « Il est flandrin, vaurien, goujat même ; il fusille la Croix. Mais, du moins, il lui reste d’avoir pleuré, et souvent son vers, plein d’arôme, s’enfonce dans la mémoire. »

 

Ces textes demandent, pour être compris et appréciés à leur juste valeur, un éclairage qui les replace dans leur contexte. Or Benoît Le Roux se révèle un parfait cicérone. Il se défend d’avoir voulu faire un livre savant, mais les annexes, copieuses, et les commentaires dont sont assortis les extraits qu’il a sélectionnés démontrent le contraire. « A ton tour, écrit-il dans son avant-propos, choisis, libre lecteur ! (…) Cette anthologie, avec sa Table détaillée et ses Index, est faite pour la promenade. » Une invitation au voyage qu’on n’aura garde de négliger.

 

Jacques Aboucaya

 

Louis Veuillot, Voyages et lectures, textes choisis et présentés par Benoît Le Roux. Via Romana, novembre 2013, 352 p., 24 €

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