L’Ikebana, une poésie florale

En même temps que le Nô, la cérémonie du thé, le bouddhisme zen et l’art du jardin, autrement dit les fondements essentiels de la culture japonaise telle qu’elle séduit toujours l’Occident, apparaît cet autre art purement nippon, l’Ikebana. Qui ignore ce mot qui aussitôt évoque ces arrangements délicats et savants de fleurs et de branches, inscrivant dans l’espace ces mouvements impalpables et aériens, un temps horizontaux, un temps verticaux, ces courbes et ces élans de feuilles et de corolles, ce déséquilibre visuel qui en définit un autre, sans la symétrie classique des bouquets conçus en Occident ? Dans la pureté de leurs formes et l’éclat de leurs couleurs, ces fleurs, ces feuilles et ces pétales se mêlent, se distinguent, se croisent et s’entrelacent, s’épanouissent et presque s’évanouissent de tant de grâce et de légèreté, proposant au regard selon les saisons les étapes successives et le renouveau de leur floraison. L’œil et la pensée sont devant une esthétique absolue de la nature, raffinée, une poésie silencieuse d’autant plus attachante qu’elle exige peu de plantes mais beaucoup de savoir et de sensibilité. Le végétal devient spiritualité, il est comme l’eau, le ciel ou la roche, réverbération et accueil d’une divinité. Il faudrait relire l’histoire des croyances pour bien comprendre le sens de cette discipline, qui conjugue amour et respect de la nature, symboles et réalités, patience et connaissance. Il s’agit d’une philosophie de l’existence, d’un langage floral qui dépasse la fleur. On est dans l’harmonie des êtres et des choses, on atteint la perfection héritée des ancêtres, on touche une totalité vivante. L’éphémère est source de sagesse, le moins est un plus.   

 

 

A l’origine de cet art, on trouve l’offrande de fleurs qui se pratiquait dès le VIème siècle devant une image ou une statue dans la religion bouddhiste. Les moines d’alors savent combien les éléments végétaux peuvent participer à la quête d’idéal. Il faut avant tout reproduire le souffle vital. Comme en peinture où le trait du pinceau ne doit être qu’un passage, la branche s’effile et se fond dans l’air qui absorbe sa courbe. Par la suite, des concours ont été organisés, ouvrant le chemin aux compositions plus élaborées, sans autre but que celui de « refléter la beauté et la majesté de la nature ». L’Ikebana est associé au Tokonoma, ce petit élément primordial situé à l’entrée dans chaque maison japonaise. Les écoles sont nombreuses, les styles aussi. Au fil des ans, la pratique évolue. Mais demeure la voie, le Do. On pense à ces mots de Miyamoto Musashi (1584-1645): « Choisissant le vide comme voie, vous verrez la voie dans le vide. »

 

 

L’auteur qui connaît le Japon de l’intérieur pour y avoir longtemps vécu et enseigne l’Ikebana à Anvers donne dans cet ouvrage tous les conseils pratiques que la personne qui est attirée par l’art floral peut souhaiter. Quels matériaux faut-il, comment fait-on les entrelacs, comment disposer une feuille seule, comment préparer, tailler, piquer les rameaux, savoir éclaircir, incliner, faire une composition flottante, utiliser le kenzan, connaître les variantes Moribana et le Nageire de base ? Pas à pas elle explique tous les secrets de cet art. Les photos détaillées permettent de suivre ce travail des mains et de l’esprit. Au bout du compte, s’impose la merveille d’une création en apparence spontanée et qui est en réalité le résultat d’une grande ascèse.  

 

Dominique Vergnon

 

Ilse Beunen, L’Ikebana pas à pas, édition ULMER, 112 pages, 506 illustrations, 21,5x28 cm, octobre 2015, 25 euros.

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