La Grande Odalisque ou les charmes du crime de haut vol

Un récit libre et stylé. Une double fin en queue de poisson qui ne laisse place à aucune interprétation tranchée mais qui préfère la poésie de la perplexité. Voilà ce qu’offre la rencontre entre Vivès au dessin et Ruppert & Mulot au scénario. Le trait de Vivès qui allie si mystérieusement la suggestion la plus mesurée à la précision la mieux posée sert ainsi un grand récit d’aventures doté d’une intrigue sensuelle, violente, tendre et amorale à la fois.

Ce « one shot » racé s’ouvre sur le vol du Déjeuner sur l’herbe au Musée d’Orsay, par deux belles jeunes filles qui renverraient les Cat’s Eyes au vestiaire, n’étaient les ratés de la plus jeune, Alex, la belle rousse au corps svelte, qui mêle ses échecs amoureux aux actions les plus périlleuses, quitte à mettre en grave danger Carole, sa partenaire, la blonde pulpeuse aux gros seins, gymnaste époustouflante et redoutable combattante à mains nues.

Entre ce vol inaugural du duo d’expertes, dans le métier depuis près de 10 ans, et leur prochaine commande, plus ambitieuse et plus dangereuse, visant La Grande Odalisque du Louvre, le récit passe de Paris à Mexico, pour une histoire de sauvetage romantique en plein cœur du narcotrafic, sous l’impulsion d’Alex. Ayant besoin de renfort et d’armes de poing plus lourdes pour s’attaquer au Louvre, les deux voleuses se font livrer par un beau jeune homme brun dont la tête est mise à prix par un cartel de l’Ouest du Mexique. Celui-ci tombe aux mains des narcotrafiquants en cherchant à fournir plus de balles soporifiques aux belles voleuses. Ayant également besoin d’une troisième coéquipière pour leur prêter main forte, elles recrutent Sam, une belle brune championne de moto qui n’a pas froid aux yeux. Le nouveau trio sexy vole alors au secours de leur trafiquant d’armes et se retrouvent à la tête du cartel qu’elles ont décimé en jouant habilement de leurs charmes. Leur séjour mexicain alterne romance, histoires de culs compulsives, drogues et atmosphère fiévreuse. Largement équipée par leur mainmise sur le cartel, les trois chattes aux griffes acérées se lancent alors à l’assaut du Louvre. Bien plus complexe, l’entreprise, jouant de malchance, tourne au désastre. Un double épilogue, passant du flashback émouvant à la projection poétique, laisse le lecteur sur des perspectives inattendues et troublantes. Il lui revient de choisir son dernier mot, si tant est qu’il en faille un. 

Surfant avec grâce sur tous les stéréotypes du genres, les auteurs épinglent, tant par l’intrigue que par le tracé, tous les personnages correspondant aux ingrédients d’un récit d’action trépidant : le manchot classieux qui pratique le recel d’œuvres de renom, le commanditaire en costard flanqué de ses hommes de mains douteux, les brutes mercenaires du narcotrafic, le chef de Cartel aux civilités mafieuses, et surtout le trio de criminelles attachantes et sexys. Mais c’est en restant à la surface de ces clichés, rafraîchis par l’esquisse, que l’ensemble dégage une véritable poésie du fantasme et des situations de genre. Les atmosphères variées plonge chaque fois le lecteur dans des scènes à la fois dramatiques et légères qui ont le goût exquis du sel des choix de vie et des relations compliquées. Car le récit est avant tout celui des trois filles d’exception, socialement hors catégories, et de leur amitié insolite. On voit alors se tisser entre elles d’étranges complicités féminines, sur la plage, en boîte, ou dans le feu de l’action sur fond d’explosions ou de brigades policières, que forgent aussi subtilement les dialogues qu’elles s’échangent que leurs silences habités par des traits expressifs sans fond qui traversent leurs gestes ou leurs visages comme les murmures vivants qu’on devine sous la mer. « Parce que tu sais, Sam, au final pour moi… Dans la vie, c’est pas ce que tu fais le plus important. C’est avec « qui » tu le fais. » dit Carole pendant qu’Alex danse en patins, ivre et à moitié nue, au milieu d’une piste mexicaine. Le regard de Sam se tend droit devant elle, songeuse, face au lecteur, puis de profil, avec un air soucieux, son poignet délicat serré contre son fin menton. Rien d’autres qu’une succession d’images — et le murmure grouillant d’une vie plus intersticielle qu’intérieure, sans psychologie et sans fond. 

Sébastien Marlair

Vivès, Ruppert & Mulot, La Grande Odalisque, Tome 1, Dupuis, col. "Aire libre", septembre 2012, 122 pages, 20,50 €
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