Vladimir Velickovic au 1700 La Poste du 21 mars au 21 juin 2015

Investie depuis 1990 dans la promotion de l’art sous toutes ses formes, Isabelle de Mévius a créé sa maison d’édition en 2008 pour publier des monographies et plus récemment, depuis l’ouverture du 1700 La Poste, les catalogues des expositions qu’elle y organise… La dernière en date est consacrée au plus serbe de nos peintres français : Vladimir Velickovic.
Né à Belgrade, le jeune Vladimir expose déjà depuis une petite décennie quand il obtient le prix de peinture de la Biennale de Paris, en 1965. L’année d’après, bourse en poche, il débarque à Paris… pour ne plus en repartir.
Dès 1967 la Galerie du Dragon lui organise sa première exposition personnelle, et depuis, près de cent cinquante expositions plus tard, il met enfin un premier pied au Canada (sic). Un oubli cruel qu’Isabelle de Mévius vient de combler en organisant au 1700 La Poste (21 mars – 21 juin 2015) une exposition complète qui embrasse dessins, peintures, kartons et sculptures. Si l’on n’est pas dans l’ambiance de l’extraordinaire rétrospective de Toulouse (2011), l’essentiel est là, tout visiteur, tout lecteur du remarquable catalogue éponyme qui prolongera l’événement, pourra s’abreuver aux émotions suscitées par la rencontre des œuvres de Velickovic.

 


Présent dans les plus prestigieuses collections et musées publiques du monde (Amsterdam, Athènes, Bruxelles, Chicago, Dresde, Hanovre, Lille, Londres, Los Angeles, Munich, New York, Oslo, Paris, Rotterdam, Téhéran, Venise, Washington, etc.), l’œuvre de Vladimir Velickovic chamboule les territoires qu’elle explore : des paysages oubliés, des bestiaires aux herbiers, des parturientes aux hommes en fuite. Mouvements capturés, instantanés célébrés, l’œil du peintre (qui est aussi un extraordinaire dessinateur) saisi une parcelle de vie là où elle semble absente pour tout le monde.
Sauf que Velickovic ne regarde pas au même endroit, ne voit pas les mêmes choses : en révélateur d’une force absolue (mal, violence, bestialité, instinct de survie, fuite, quête) qui anime le sujet, il cloue son reflet en image sacrée sans cesse recommencée, comme pour expier ce péché véniel qui n’est, en quelque sorte, que l’essence même de l’être vivant. Sauver sa peau. Tuer pour ne pas mourir.

Mais hors du cadre abject, passée l’infinie souffrance ou la perte de sens, la réalité pourrait être toute autre si les couleurs chatoyantes qui percent, ici ou là, touches subliminales dans le tableau, ne rappelaient l’once de joie tapie en chacun, et qui pourrait renaître. Sphinx d’un autre temps, ces corps suspendus, ces apocalypses incendiaires, ces corbeaux mortifères, ces rats débonnaires, ces boîtes expulsées d’un vagin trop vindicatif ne sont-ils pas, finalement, que des reflets perdus échappés d’un miroir sans tain à travers lequel l’artiste nous renvoie à nos chères études ?



 

Pourquoi cette peinture fascine-t-elle autant ? Impose-t-elle de si radicales prises de position ? Personne n’est indifférent : rejet immédiat ou fascination contemplative. Le premier refuse d’admettre et persifle à merveille dans son rôle de l’autruche qui chantonne Tout va très bien madame la Marquise… quand l’autre abdique enfin et admet de (se) voir dans l’étincelle de la lucidité l’infamie dans laquelle l’a plongé cette arrivée au monde subie depuis le premier vagissement entre les cuisses scélérates de la mère qui n’a d’abord pensé qu’à elle.
Car qui accepterait de venir au monde avec un minimum de connaissance de ce qui l’attend ?

 


Pour palier à l’ennui du quotidien, à la colère des injustices, à l’inertie du monde, chacun trouvera son remède. Vladimir Velickovic, en altruiste, nous offre de partager ses tourments, ses questionnements, ses appétits, ses bonnes blagues (regarder-y de plus près ces fantastiques grands dessins à l’encre de Chine, attention chaque détail compte !) et de nous donner ainsi, outre un sujet de réflexion, un baume épicé pour laisser yeux et âme s’envoler dans les sfumatos de ces ciels uniques dont la brume dégradée invite à l’apesanteur.
Il n’y a pas que l’homme de Muybridge qui monte un escalier infini pour fuir cette réalité acerbe, il y a aussi la poésie de ces décors pas si sombres que cela, par le feu régénérateur qui cautérise et renfloue dans ce magma de soupe primitive d’où nous sommes, parait-il, tous issus…

 

Finalement, avec Velickovic aussi, c’est le calme qui prédomine après la tempête. Vous ressortez de l’exposition (ou d’avoir parcouru ce catalogue) avec une énergie débordante : de vous être confronté avec ses œuvres est apparue en vous une formidable dignité qui vous permet de redresser la tête et de puiser un nouveau dynamisme que vous croyiez épuisé.
Qui a dit que l’artiste ne fait pas œuvre de salubrité publique ?

 

François Xavier

 

Evelyne Artaud, Georges Leroux, Dario de Facendis, Fernand Ouellette, Vladimir Velickovic, préface d’Isabelle de Mévius, édition bilingue français/anglais, 330 x 280, couverture cartonnée, nombreuses photographies couleurs, Les éditions de Mévius, mars 2015



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