Avec Anima, Wajdi Mouawad poursuit sa quête des origines

Wahhch Debch entre chez lui et trouve sa femme baignant dans son sang, un couteau planté dans le vagin.

Mais qui est l'étrange narrateur de ce premier chapitre qui dépeint l'horreur de cette scène si ce n'est pas Wahhch lui-même ? C'est le chat. On ne le comprend pas tout de suite et c'est seulement quand il tourne autour de la boîte de thon tombé du sac de Wahhch qu'on se doute qu'il ne s'agit pas d'un homme.

De chapitres en chapitres, le narrateur change et ce n'est jamais un être humain : un chat, un chien, une araignée, une souris, une guêpe, un cheval... L'animal est ici spectateur de la vie humaine. Et quelle vie ? Une vie brutale, absurde, une vie plus bestiale que celle des bêtes.

Au travers du regard animal, on suit le périple de Wahhch qui se met en quête de retrouver celui qui a tué sa femme, mais pas seulement puisque de ce meurtre abject, un événement de son enfance va rejaillir, aussi sombre, aussi violent, aussi inhumain. L'image d'une scène vécue et refoulée va l'assaillir, alors il va tenter de comprendre.
Peut-on découvrir pire que sa femme ensanglantée, ventre ouvert et tripes à l'air ? Oui, on le peut.

Ce n'est pas pour rien si Wajdi Mouawad prête sa voix aux animaux. On regarde ainsi l'humanité de loin et ça donne la nausée. On se demande qui est l'homme et qui est l'animal ?
Dans cette folie meurtrière ou toute l'identité de Wahhch bascule, il cherche l'assassin pour se prouver que ce monstre n'est pas lui-même.
De quoi sont capables nos semblables ? nos frères ? De quoi sommes-nous capables entre nous ? Qui sommes-nous ?

Wajdi Mouawad aura mis dix ans à écrire Anima. Il commence l'écriture de ce chef-d’œuvre à la Mouawad en 2002. Parallèlement il commence l'écriture du sang des promesses, une tétralogie poignante comprenant Littoral, Incendies, Forêts et Ciels. On retrouve dans Anima ce même thème qui lui est cher : celui de la quête des origines et la violence qui l'accompagne : L'enfance est un couteau planté dans la gorge (Incendies ).

Ce texte aura donc mis dix ans à lui parvenir et à prendre forme. Au départ, il ne savait pas qui était le narrateur, qui lui prenait sa voix. Puis tout a pris son sens. 
L'homme est face à son propre miroir de honte et de gerbe. C'est une humanité malade que Wajdi Mouawad nous donne à voir au travers du regard animal, une humanité dont l'évolution s'est transformée en puissance puis en laideur, qui s'inscrit dans le monde en lui chiant dessus.

Les humains ne sont pas tous des pièges, ils ne sont pas tous des poisons, je veux dire par là qu'ils ne sont pas tous des humains, certains n'ont pas été atteints par la gangrène.

Dans cette quête de l'horreur, on est tenu par la beauté et la pureté du texte. C'est le souffle coupé qu'on referme Anima. On pleure mais on ne pleure pas de compassion. On pleure de honte.
Alors voilà, que les choses soient claires, si vous cherchez une gentille petite histoire mignonne ou tout le monde il est gentil et ou tout le monde s'aime à la fin sur un lit de guimauve et de niaiserie, Wajdi Mouawad n'est pas votre homme mais si l'absurdité du monde dans le quel on vit vous fait écho et que vous n'avez pas peur de vous prendre de vrais mots dans le bide, alors dans ce cas, lire Wajdi Mouawad et en l'occurrence Anima, c'est prendre le risque de trouver beaucoup d'autres lectures fades à côté. On ne sort pas indemne de l’œuvre de Mouawad et ça fait du bien!

 
Élodie Da Silva
 
Wajdi Mouawad, Anima, Actes Sud, août 2012, 430 p.-, 23 €

1 commentaire

inès waddji Mouarad est un de mes auteurs préférés c'est grâce à lui que mes élèves ont pu  apprécié un obus dans le coeur  et ns avons vu des pièces de cet excellent auteur je vs le recommande.