Mort prématurée d’un chanteur populaire dans la force de l’âge 

Il y eut la Chronique d’une mort annoncée – qui fût même portée à l’écran, offrant sans doute le seul véritable bon rôle à Delon fils – et il y a cette pièce de Wajdi Mouawad qui emporta tout sur son passage à la fin de l’année 2019…
Née d’une complicité avec Arthur H – le fils de Jacques, Champagne ! – qui sort le 3 septembre l’album éponyme, cette épopée contemporaine n’est pas sans rappeler les frasques d’un certain François Mitterrand (faux attentat pour faire parler de lui) ou d’un Romain Gary (qui s’inventa un double pour être le seul à décrocher deux Goncourt). Ainsi il en va du destin d’Alice, ex-chanteur punk, ex-star populaire, ex-amant de ces dames – et d’une en particulier – qui s’enlise en ne trouve rien de plus intelligent que de mettre en scène sa fausse mort. Se faire oublier un an puis revenir. Bras d’honneur au système, quoi qu’il en coûte, comme dirait l’autre…

Sauf que. Le prix s’avère plus élevé que prévu d’autant que le mariole se réveille en pleine séance funéraire, la dose de drogue ayant été sous-évaluée. Scandale et… conséquences désastreuses… Voilà ce qui arrive quand on est frustré, envieux, jaloux. Lucide aussi, car Alice voit comment d’autres, mieux introduits dans le système, réussissent tout en étant incultes, seulement parce qu’ils obéissent. Face à l’amertume, il s’embarquera sur la mauvaise pente.

Les traces de nos vies se perdent dans le rouleau du temps, et notre mémoire est évanescente.  

Le théâtre se lit aussi, surtout quand c’est diablement écrit, comme ici, avec cette saveur particulière de savoir que ce fut écrit avant la pandémie, et que l’on vit aujourd’hui ce qui fut pensé hier, démonstration de l’incapacité de notre cerveau reptilien à pouvoir admettre l’imminence d’un événement dès lors qu’il ne s’est jamais produit.
Wajdi Mouawad est Libanais : après un long détour par Montréal, il dirige le théâtre de La Colline et nous a déjà scotché avec Anima sans parler d’Incendies, l’un des opus du quatuor Le Sang des promesses. Porteur d’une culture multiple, violente et marquée au fer rouge de l’Histoire, il écrit au scalpel, appuie là où cela fait mal, et révèle ainsi toute une facette humaine trop souvent occultée.
Alors que l’on s’étripe sur la légitimité du passe sanitaire au nom de la liberté, Faustin nous impose un face-à-face avec nous-mêmes : … rien n’est plus terrorisant que la liberté ! C’est un geste de désobéissance absolu […] C’est pour ça que très peu de gens sont libres ! Si la liberté n’était pas terrorisante, tu crois que les gens accepteraient de rater leur vie et de se faire chier leur existence durant dans un boulot qu’ils exècrent jusqu’à la moelle de leurs os ?! Pourquoi les gens se soumettent ? […] C’est par frayeur de la liberté !
Oui, la désobéissance totale est une prise en charge de sa vie, avec tout ce que cela engendre. 
Une pièce à lire d’urgence. 

Rodolphe

Wajdi Mouawad, Mort prématurée d’un chanteur populaire dans la force de l’âge, Actes Sud-Papiers, juin 2021, 72 p.-, 14 €

Aucun commentaire pour ce contenu.