Alain Dantinne, La Promesse d’Almache : Une auberge espagnole en Ardenne

Pierre et Dydie savourent leur vie commune, ignorants du lendemain. Au dernier vivant tous les biens ! , se sont-ils déclarés. C’est leur pacte de jouissance pour l’éternité provisoire de la vie. Et ils en ont bien profité, chacun respectant le secret de l’autre. Sur le tard, après bien des vicissitudes et des voyages au long-cours qui les ont abreuvés jusqu’à l’ivresse, ils décident d’abriter leurs souvenirs. Petites annonces, recherches méticuleuses : le couple bohème dégotte l’ancienne auberge d’Almache, en Ardenne belge, non loin de Bouillon et sa frontière. Le spécialiste des métaux non-ferreux et l’ancienne employée de la Sabena retapent la maison mais pas trop. Ils y reçoivent la kyrielle des amis cosmopolites, qui déversent leur bonne humeur et partagent la table toujours en fête. Mladen, jeune prêtre yougoslave, Léon, bambocheur au passé de légionnaire, Bernardin et bien d’autres honorent cette maison du bonheur. Le champagne coule à flots, c’est la tasse de Dydie.  

 

Et puis il y a Arthur, pas très sérieux puisqu’il a seize dix-sept ans, reçu plus souvent qu’à son tour à ces leçons de vie grandeur nature qu’on donne à l’auberge. Incompris, homosexuel et capricant, il devient l’enfant qu’ils n’ont pas eu. A leur contact, il apprend à aimer la vie. Il grandit et s’affirme. Profitant du fabuleux carnet d’adresses de ses parents d’adoption, il court le monde, de lieux interlopes en plateaux patagons, du Monténégro au grand nulle part international dont il s’enivre. Il y rencontre des personnages hors du commun, qui ont fraternisé avec le couple et, par capillarité, devient plus aimant et plus riche. Pierre est condamné par une maladie. Il décède. Dydie ne supporte pas la solitude du salon d’Almache. Arthur, entre deux errances, pose ses valises chez sa tante, dont le cœur claudique ; il lui sert de béquille. La veuve s’est enfermée avec délices dans ce coffre-fort à souvenirs. Elle vénère l’absent, retissant d’anciennes amours à la manière de Pénélope.

 

Au décès de Dydie, Arthur, à qui la maison est promise dans un passage de relais de l’amitié, rêve de transformer l’endroit en centre culturel à la mémoire de Verlaine. Le poète, en effet, à traîné ses jeunes guêtres du côté de Paliseul, à quelques kilomètres. Il rêve d’honorer la poésie et d’en faire, ni plus ni moins, un foyer libertaire avec pignon sur rue. Souvent la mérule se niche au fond des rêves, confie le narrateur. La vie se chargera du reste...

 

Alain Dantinne, dans ce récit délicat, professe un goût pour une fraternité sans bornes et un regard sans œillères. Son auberge espagnole en Ardenne est un rêve de jeune homme que la vie n’aurait pas déçu et où l’amour serait un pot commun. Il faut vivre, s’arranger comme on peut avec les désirs des autres, aimer la vie et tous les “colloques sentimentaux”, qui, comme le bonheur, sont contagieux. On relira du même auteur – chez Finitude, 2009 – Le Petit catéchisme à l’usage des désenchantés, autre régal de l’esprit, où se distillent des aphorismes pour s’accommoder avec les tracas de l’existence. Il me faut vivre au présent. Je commence demain matin. Ce sera tout pour aujourd’hui.

 

Frédéric Chef

 

Alain Dantinne, La Promesse d’Almache, Weyrich, coll. « Les Plumes du coq », février 2014, 196 pages, 15 €

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