Nathalie Nottet : « Il y a que ça ne va pas et tu le sais »

                   

Afficher l'image d'origineDes désignations « folie » ou « trouble psychique », laquelle est la plus effrayante ? La première renvoie, avec une brutalité certaine, à des scènes fantasmatiques, monstrueuses, boschiennes ; la seconde, autrement glaçante, nous entraîne dans les labyrinthes d’une conscience qui reconstruit le réel à son usage, selon ses normes morales et linguistiques propres. Mais qu’elles soient soignées à coup de trépanation grossière ou de savante médication, les affections mentales demeurent les plus mystérieuses des atteintes à faire vaciller notre être.

La Namuroise Nathalie Nottet connaît, pour des raisons professionnelles mais aussi personnelles, cet univers tourmenté. Son premier roman nous emmène à la découverte de L’Envers des pôles, au fil d’un monologue intérieur d’une confondante justesse. Car si écrire sur les troubles bipolaires est sans doute à la portée du premier diplômé en psychologie venu, le tour de force d’écrire les troubles bipolaires du dedans ne peut être réalisé que par un écrivain.

Ce texte serré, parfaitement balancé entre deux pôles, nord et sud, et qui trouve son point d’équilibre (ou de bascule ?) dans une conclusion méridienne, laisse entendre mieux qu’un style : une voix. Dès les premiers mots, le lecteur est transporté dans le mental de la narratrice, et tenu de la suivre au fil d’un discours des plus déroutants, dans la mesure où il est émis sans hystérie ni démence, simplement à côté de notre monde, depuis le sien même.

Le passé de cette femme, sa rupture avec la « normalité », la nécessité d’une thérapie, son quotidien d’internée, tout cela s’enchaîne avec un naturel désarmant, comme s’il coulait de source que l’on puisse ainsi verser de l’autre côté du miroir et devenir soi-même le questionneur de cet aberrant reflet. La voix émet donc des doutes quant à son traitement et sait se montrer sarcastique envers les professionnels de la santé qui la prennent en charge. Si son humeur joue aux montagnes russes, passant sans transition du zénith au nadir, sa syntaxe préfère les dérapages semi-contrôlés, chaque lapsus se révélant un calembour concerté. Et le jeu des assonances à travers les champs sémantiques n’a rien d’un divertissement ; au contraire, il dévoile les ressorts cachés, autant que les grains de sable qui s’y sont glissés, d’un logos en délicatesse avec le sens.

Quelle puissance et quelle fragilité à la fois dans ces phrases. Quel humour, doublure de quelle peine, dans ces pages. L’Envers des pôles de Nottet est bien davantage qu’un énième roman-témoignage sur la bipolarité. Loin de l’asepsie clinique et des capitonnages asilaires, c’est un texte qui vibre, grince, tourbillonne et palpite. Loin des proses dites « expérimentales », partant artificielles, qui miment au risque du grotesque les délires psychotiques, c’est une œuvre littéraire – dépourvue des aspects stratégiques de la littérature, qui seraient ici déplacés. Nottet, elle, ne prétend jamais séduire son lecteur, mais elle parvient d’office à le captiver, et à l’enfermer, de son plein gré, dans son étroite sonde de papier. La plongée s’amorce alors dans la faille entre réel et vérité, et qu’un malentendu majeur creuse parfois en abysse.

Frédéric SAENEN

Nathalie NOTTET, L’Envers des pôles, Éditions Weyrich, 114 pp.

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