Étonnant William Blake : (re) découvrir "Le Mariage du Ciel et de l’Enfer"

William Blake (1757-1827) est le plus hallucinant des poètes anglais. Et pourtant ils furent légions. Mais Blake conserva la tête du classement tant ses écrits sont sans égal. Il parvient à joindre la parole simple et populaire des chansons à la rédaction de cosmogonies complexes et difficilement interprétables. Il est donc bien LE romantique absolu ! Il est de loin au-dessus des autres. Ce qui, parfois, peut aussi le rendre difficilement lisible… Car Blake fait fi de l’effondrement des contrats sociaux et se veut à lui seul un constitutionnaliste d’un nouveau genre… Il se dresse contre les fondements de la société ancienne sans pour autant renoncer à la question du lien de l’homme avec Dieu. Voire il en fait son thème de prédilection…


Ce sera donc dans la solitude que William Blake tracera son sillon. Non pas celle choisie dans une Nature exubérante. Mais bien à Londres. La ville est en plein essor. Des constructeurs privés font pousser des lotissements cossus. Avec des parcs, la Nature est donc présente. Mais Blake fuit cette présence, d’ailleurs, dans sa toute dernière demeure, près de Strand, s’il aperçoit un bout de Tamise coincé entre deux murs de brique, c’est bien là sa seule concession au paysage…


Car tout, chez William Blake, se passe à l’intérieur. Car l’extérieur est limité par les exigences de la perception. Il faut donc élargir la notion d’intérieur jusqu’aux frontières avec le divin. Blake est un kantien conséquent avec lui-même… Quitte à pousser le raisonnement encore plus loin. Il n’y a de bornes à la raison que celles que la raison a elle-même fixées. L’extérieur est donc une vision restreinte. La Nature paysagère une illusion des sens.


Le Mariage a été écrit dans les cinq années les plus intenses de la Révolution française. Des poèmes courts mais des textes épiques ou prophétiques. Une poésie de l’irrégularité qui oublie la rime. Et se joue du rythme. Car la gamme prosodique de Blake est une des plus étendues, allant du vers bref de la comptine ou du distique rimé jusqu’aux variations autour du pentamètre et le vers long de l’épopée. De l’intensité par l’irrégularité. Une densité narrative, surtout. Un emprunt à Milton et à Shakespeare. Des enjambements qui favorisent la forme verbale pour relancer l’action.


Blake parviendra à libérer l’imagination créatrice du respect que lui imposaient les textes sacrés. Il ose tout. Il sera le premier à toucher aux images de la Bible, à donner sa vision tout à fait originale du chapitre de la Genèse, par exemple… Auquel le travail du peintre viendra ponctuer l’originalité du propos. Et les préraphaélites sembleront, eux aussi, avoir reçu en héritage cette ligne distincte préconisée par Blake. Même s’ils n’avaient pas son admiration pour Raphaël (sic)… Blake donc deux fois visible : parce que visionnaire mais aussi pour avoir fait œuvre de graveur et d’illustrateur. Ecrivant et peignant directement sur la plaque de cuivre avec une brosse en poil de chameau trempée dans une mixture d’huile végétale et de graisse de bougie inattaquable par l’eau-forte.


Etonnant William Blake qui tissa des liens avec Mallarmé, Bonnefoy, Yeats et tant d’autres poètes ! Jusqu’à Allen Ginsberg qui chantonna, accompagné d’un accordéon, quelques unes des Chansons de l’Innocence et libéra alors toute la saveur sonore de cette poésie… Car Blake chantait ses poèmes. Une invitation, lecteur, à ce que tu les lises avec cette idée en tête. Voire que tu lises à haute voix. Ainsi tu savoureras la quintessence de cette synthèse réussie d’un art médiéval de la parole en train de se construire. Tu reconnaitras les techniques de la Renaissance mêlées à ses variations hétérodoxes et évolutives. Etonnant William Blake, oui !


Annabelle Hautecontre


William Blake, Le Mariage du Ciel et de l’Enfer et autres poèmes, choix, présentation et traduction de Jacques Darras, édition bilingue, douze illustrations couleur en cahier central, Poésie/Gallimard n°481, mars 2013, 400 p. – 12,50 €

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