Aki Kuroda "est" Hamlet

La collection Blanche se sur-vitamine quelques fois, quand la splendeur du texte enluminé par un artiste ou calligraphié par l’auteur-même prédispose à ce que l’écrin soit à la hauteur, alors les dimensions allouées par l’éditeur s’octroient un supplément d’aise, 250 par 325, cela n’est jamais trop grand.

Ainsi, après avoir accueilli l’Amour de Swann orné par Pierre Alechinsky et les Calligrammes de Guillaume Apollinaire, Gallimard donna carte blanche à Aki Kuroda pour appréhender tout l’univers de Shakespeare par l’une de ses plus célèbres pièces de théâtre…

 

Œuvre par trop souvent résumée, pour ne pas dire réduite, détruite, à ce simple questionnement entêtant, «Être ou ne pas être », soliloque qui hanta Kuroda, comme nous tous dont l’adolescence fut traversée par ce fantôme vibrant sans que nous sachions réellement de quoi il en retourne. Jusqu’au jour où. Vision, extrapolation, révision, constat : portée par l’oralité de la représentation théâtrale, soudain la lumière jaillit dans l’étincellement d’une interprétation magistrale, Lawrence Olivier pour débuter, comme il se doit, par le plus grand de tous…

 

 

 

 

 

suivi par l’extraordinaire adaptation de Kenneth Branagh (film de plus de quatre heures !) qui tient fort justement le rôle-titre…

 

 

Mais Hamlet est plus, beaucoup plus qu’un jeune prince en mal de questions existentielles. Il y a dans cette pièce de quoi saisir ce contexte si prompt à délivrer l’intemporalité du message, surtout en nos temps troublés où ce n’est plus un quelque chose qui est pourri en Danemark, France et Cie mais bien l’ensemble du système qu’il faut repenser, refondre, reformuler de fond en comble…

Mais, reformuler, comme le disait si bien Pia Petersen il y a quelques jours lors des 3e Rencontres de Thélème, en l’abbaye de Seuilly, près de Chinon, à l’invitation de l’Atelier du roman, reformuler nécessite aussi un nouveau lexique, un langage différent qui pourra porter le diagnostique à sa plus juste valeur, ainsi travail, production, rentabilité n’auront plus ce sens drastique de l’obligation carcérale dans laquelle l’Homme s’est emprisonné, mais plutôt partage, valeur, enrichissement…

 

Langue alors comme vecteur, trait d’union entre les Hommes, importance cruciale que l’on ressent dès les premières pages admirablement traduites, langue française, langue anglaise mais langue littéraire surtout, langue universelle qui rappelle la qualité narrative des Liaisons dangereuses et redonne goût à la lecture.
Langue si terriblement torturée, aussi bien à l’école que par un trop grand nombre d’auteurs contemporains, langue jugée sans doute dangereuse par nos élites en mal de nous soumettre, langue si précise, musicale, dramatique, enjouée, rutilante, pétillante, détaillante et envoûtante, oui, langue pour notre bonheur et notre dissidence envers cette société corrompue intellectuellement tout autant que financièrement…

 

 

Plongeons donc dans ce bain de jouvence que les peintures, dessins, apostrophes et interpellations de Kuroda offrent à notre appétit de jouissance hors limite. Joie des yeux, joie des oreilles, joie des sens… De l’aveu même du peintre, on sait qu’il a téléphoné à William et qu’ils ont parlé de leur travail, le résultat est sans appel : une totale réussite.
Les décalages temporels et culturels cinglent sur la page, les couleurs éclaboussent de leur contraste, ça cogne, ça mord, ça griffe mais parfois cela suinte aussi, glisse et velours sous la peau, susurre à l’oreille de notre œil endormi par tant de laideur ambiante qu’il doit faire un effort, ici, là, maintenant, cela se joue devant lui ; qu’il plonge dans ce gouffre et se délecte de sa substance, ripaille entre amis…

 

 

Sinon, pour le plaisir d’en rire – puisque la vie n’est qu’une farce – on ira voir les Monty Python qui nous donnent une belle adaptation d’un Hamlet filant chez son psy :

 

 

François Xavier

 

William Shakespeare, Hamlet, traduit de l’anglais par Jean-Michel Déprats, peintures d’Aki Kuroda, 250x325, Gallimard, coll. "blanche grand format", octobre 2016, 200 p. – 45,00 euros

 

PS
Aki Kuroda sera à Paris, à la galerie Perpitch & Brigand, le 20 octobre 2016 à 18h30

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