Roméo et Juliette ou la Comédie Française au cinéma


« Elle ne dit rien, monsieur ; mais elle pleure, »

La nourrice, Roméo et Juliette, scène XIV.


Le théâtre est une expérience toujours incroyable. Un rideau se lève, des lumières s’allument et une magie s’opère devant les spectateurs qui acceptent, le temps d’une pièce, l’impensable : l’existence d’un mur qui n’existe pas. Voyeurs, ils observent des gens vivre et mourir sur ou hors de scène. Le temps change son cours. Deux heures deviennent une journée, une semaine, un mois, une éternité.

Voilà que Pathé live a décidé de modifier cela en invitant les caméras dans la salle. L’expérience du théâtre filmé n’a pourtant rien de nouveau : les classes des collèges et lycées français regorgent de représentations sur cassettes ou DVD des plus grands chefs d’œuvre étudiés en cours. Mais cette fois-ci, le théâtre envahit non plus le petit mais le grand écran. Non comme une pièce devenue film – à l’instar du Diner de cons ou du Prénom – mais comme une pièce filmée. Et l’écran cher aux cinéphiles devient le quatrième mur, brisé par la caméra qui, avec ses zooms, porte le regard du spectateur au cœur de la scène.

Alors que le dernier Star Wars clignotait au cinéma dans les jours précédents Noël, voilà que Roméo et Juliette était lui aussi à l’affiche. Dans le cas où vous ne connaîtriez pas cette pièce somme toute des plus classiques, son résumé est simple :

Capulet déteste Montaigu. Montaigu déteste Capulet. Vérone souffre du conflit. Roméo M. s’invite, avec ses amis, à la fête de C.. Il y rencontre Juliette C.. R. tombe amoureux de J., J. tombe amoureuse de R.. R. et J. se marient en secret. Tybalt C. tue Mercutio, ami de R. et proche du Prince de V.. R. tue donc T. et est banni par le Prince. J. est promise en mariage à un autre. J. se fait passer pour morte. R. la croit morte et se tue aux côtés de son corps inanimé. J. se réveille, voit R. mort et se tue aussi.

 

Bref, un scénario pour le moins triste. Les gens meurent. Le tout en quatre jours. Mais même en connaissant la fin, voir et revoir la pièce fait un bien fou. Pourtant, pourquoi aller au cinéma ? Baz Luhrmann, en 1996, avait fait un Roméo + Juliette splendide (bien que la critique presse ne soit pas des plus unanimes à ce sujet), conservant le texte original de Shakespeare. Que pouvait donc apporter une version de théâtre filmé ?

 

Le théâtre, justement. Lors des interviews de l’entracte – car Pathé Live propose un entracte avec des interviews dont entre autres celle de Suliane Brahim (Juliette) et Jérémy Lopez (Roméo) –, il fut parlé du hic et nunc. Le « ici et maintenant ». Voilà ce qu’offre le théâtre : le talent brut de ses acteurs que la caméra ne peut modifier. Impossible de couper pour reprendre une scène qui n’était pas convaincante. Il s’y trouve une capture du réel qu’aucun montage ne peut faire disparaître lorsque le Live est présent. Tous les DVD de spectacle sont filmés sur deux à trois soirs : humoristes, pièce de théâtre, etc. Hic et nunc, rien ne peut être retiré avec cette expérience : un soir, une troupe, un théâtre. L’excellent est sublimé par une caméra offrant une proximité au spectateur. Le mauvais est lui aussi impitoyablement révélé.

 

Roméo et Juliette a mélangé les deux. La mise en scène, les décors, cela fut excellent. Le jeu des acteurs aussi, sauf l’un ou l’autre. Ou peut-être devrais-je dire l’une. Danièle Lebrun, hélas, n’a jamais convaincu en tant que Lady Capulet. Alors que Didier Sandre tenait un père parfait, mélange de tendresse et d’autorité envers sa Juliette, son épouse sur scène sonnait faux : quoi de pire qu’une femme demandant vengeance sans que cela ne soit crédible ? Mais la mère de Juliette n’est pas un des rôles principaux. Retenons plutôt l’excellence de Suliane Brahim et Jérémy Lopez. Juste de bout en bout, amoureux, perdus, tristes, désespérés, ils ont réussi à nous faire vivre un grand moment. Nous faisant même oublier, durant quelques instants, les précédentes versions de cette pièce. Retenons aussi le Frère Laurent et le Frère Jean : dans une infidélité à Shakespeare, Éric Ruff a offert au second une partie des dialogues du premier. Et voici qu’un personnage en devient deux, mélange de schizophrénie et de clairvoyance splendide. Deux êtres n’en font qu’un, homme et prêtre, apothicaire et moine, humain et divin.

La projection de cette pièce de théâtre, en Live, au cinéma est un défi pour la Comédie Française. Un défi magnifique rendant cet établissement accessible à ceux n’habitant pas Paris. Mais exigeant. Le moindre faux pas est révélé. Cette expérience nous donna envie d’aller voir la pièce pour de vrai, perché dans notre habituel poulailler : il y a là une belle réussite !

C’est donc avec une grande impatience que nous attendons les prochains Pathé Live : le Misanthrope (9 février 2017) et Cyrano (4 juillet 2017). En 1999, au Vieux Colombier, sous la direction de Jean-Pierre Miquel, la troupe du Français dont Denis Podalydès avait réussi à faire de l’atrabilaire de Molière un moment de grâce exceptionnelle. En sera-t-il de même au cinéma sous la direction de Clément Hervieu-Léger ?


Roméo et Juliette de Shakaespear, d'après la traduction de François-Victor Hugo ;

Mise en scène d'Éric Ruff, administrateur général de la Comédie Française ;

Première projection live : jeudi 13 octobre 2016 à 20h30 ;

Reprises en différé à partir du 31 octobre 2016 au 8 février 2017, horaire selon les cinémas.

Reprise du spectacle Salle Richelieu en alternance du 30 septembre 2016 au 1er février 2017


Distribution

Claude Mathieu : La Nourrice

Christian Blanc : Montaigu

Christian Gonon : Tybalt

Serge Bagdassarian : Frère Laurent

Bakary Sangaré : Frère Jean

Pierre Louis-Calixte : Mercutio

Gilles David : Le Prince

Suliane Brahim : Juliette

Nâzim Boudjenah : Benvolio

Jérémy Lopez : Roméo

Danièle Lebrun : Lady Capulet

Elliot Jenicot : Le Comte Pâris

Didier Sandre : Capulet
 
Et les comédiens de l'Académie de la Comédie-Française : Marina Cappe, Ji Su Jeong, Amaranta Kun : Musiciennes, jeunes filles

Tristan Cottin : Balthazar

Axel Mandron : Pierre

Pierre Ostoya Magnin : Samson

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