Yanick Lahens au Collège de France : la langue des opprimés

Yanick Lahens est la première personnalité à occuper la chaire des Mondes Francophones au Collège France. Elle a donné jeudi 21 mars sa leçon inaugurale au moment où elle publie ses nouvelles parues entre 1994 et 2006. Non seulement elles annoncent les romans postérieures de la créatrice haïtienne mais donne encore plus de force à un monde où - misère aidant - des Judas donne des baisers pour les mêmes vieux deniers.
S'y découvrent donc les émerveillements quasi magiques de l'île mais aussi sa violence et sa cruauté émises sans complaisance et de la manière la plus crue, là où par exemple des corps assassinés et mutilés finissent mangés par des cochons.

Pour le dire l'auteure creuse sa langue dans la langue co-mère (à côté du créole). D'ailleurs, et après avoir écrit en français, Yanick Lahens est entrain de traduire certaines de ses nouvelles en cette langue.
Dans de tels textes elle ramène à la misère de la condition humaine qui va bien au-delà de Haïti. Car ce qu'elle dit n'est pas inhérent à son île. C'est même le lot commun d'une majorité d'habitants de notre planète abandonnés à une déshérence programmée.

Au nom de ce «je qui ça ? » cher à Beckett et qui est celui des damnés de la terre, l'auteure donne voix au  «moi» fantôme qui tente de tenir debout. La langue pour l'atteindre ne se paie pas de mots : elle dit au plus près ce qu'il en est du réel et d'une indifférence complice et notoire du monde qui ignore la tendresse et ne connaît que l'égoïsme.
Mais l'auteure ne distribue pas de leçons. Elle témoigne et montre comment pour survivre en un chaos de violence, il reste le merveilleux que les traditions rameutent. Ce n'est pas un simple emplâtre sur une jambe de bois mais le moyen d'inscrire sacralité et fétichisme afin que les perdants survivent encore un peu et puissent espérer en croyant au merveilleux.

Rien de frelaté dans de telles croyances mais le moyen de tordre le fatum tel qu'il est ou tel qu'il est donné. L'être humain n'est plus ici la mesure de toute chose. Il est la victime des potentats qui ont privatisé les profits titrés de la sueur et du sang des démunis. Rares sont les livres d'une telle puissance de feu.

Jean-Paul Gavard-Perret

Yanick Lahens, L'Oiseau Parker dans la nuit et autres nouvelles, Sabine Wespieser, mars 2019, 312 p., 22 euros

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