Alexandre Hollan, la vie par les arbres

Premières pages, quelques clichés en noir & blanc, une 4L dans la garrigue, notre peintre est donc nomade. Arrivé post-adolescent à Paris de sa Hongrie natale broyée par le joug communiste, il n’hésita pas à traverser l’Europe du nord au sud, de l’Écosse à la Toscane puis la Provence, en quête d’un désir, d’une révélation. Six mille kilomètres pour ne dessiner que quatre à cinq arbres. Pour voir, le regard va vers l’arbre, touche l’arbre, écrira Alexandre Hollan après cinquante années de dessins. Peintre du temps lent, il produit peu et aime à s’attarder dans la contemplation d’un site, dans l’étude d’un arbre… car il sait que "l’absolu ne se laisse prendre par aucun signe". Et que de vérité, finalement, il n’y en a qu’une, la spirituelle qui, en lui, lui révélera ses options au moment venu, et uniquement. Car il n'y a pas que le monde empirique qui compte, le sublime est plutôt à chercher dans le monde de l'éphémère.
Tel Cézanne, le voilà, feuilles sous le bras, arpentant les chemins de broussaille près de Lodève, dans le Languedoc où, désormais il habite. Il va tenter de saisir l’instant où il voit. Alors qui, mieux qu’un poète, pour nous ouvrir à l’œuvre de Hollan ?

Le présent volume, rappelle Jérôme Thélot dans sa préface, rassemble tous les essais qu’Yves Bonnefoy a consacrés à l’œuvre d’Alexandre Hollan et les donne à lire dans l’ordre chronologique où ils ont paru. C’est un livre rare, un « livre on ne peut plus musical » sur une peinture d’apaisement, composé au gré des hasards que furent les occasions données à Yves Bonnefoy pour écrire sur Alexandre Hollan (expositions, catalogues, ouvrages), témoin papier de cette vie ouverte sur l’aventure même qu’est cette simple action de se lever le matin, puis de s’émerveiller de la couleur du ciel, ou comme Hollan, de la majesté, de la délicatesse d’un arbre… Ainsi les deux amis iront marcher en campagne dans le silence de leur communion avec la nature ; silence d’autant plus évocateur de commentaires évasifs, que seul le poète complice décrypte avec générosité.
Mais sans oublier pour autant le regard critique, cette quête d’une éthique de l’art, cette reconnaissance chérie de qui puise dans l’ontologie de la forme la puissance évocatrice de son âme en communion avec le cosmos. Hollan peint de la poésie, Bonnefoy écrit de la musique peinte, et tous deux font vocation d’espoir dans le "déni de la fiction, du discours" car ils savent que, seul, le silence peut lever "les scellés que la représentation a placés sur la présence", ouvrant la confiance dans ce silence au plus près d’un absolu…

Patience incarnée, Alexandre Hollan produit dernièrement sur de grandes feuilles pour forcer le regard à se défocaliser et ainsi libérer l’esprit, lui permettre d’accéder à un calme qui accroît sa lucidité. Alors le voilà qui opère une dissolution des formes et des contours tout en préservant, tel un souvenir chèrement enfoui, la lueur du ciel ou la musique du vent. Vous voici donc face à des vertiges, en présence de cet imperceptible ectoplasme friand d’espièglerie à ne pas vouloir se montrer, ce grand son muet : l’absolu.
Oui, Hollan est "insoucieux de la vérité de simple apparence, il cherchera (…) à intensifier les accords qu’il aperçoit dans l’objet" pour mieux nous offrir ces vibrations qu’il parvient à dégager du substrat de la matière. Une quête que l’on sent tendre vers la monochromie.

 

Il y a une analogie entre certains chênes-verts et une attitude qui en moi obscurément s’ébauche. Ils renouvellent et relancent un mouvement naturel en moi, ils matérialisent un pressentiment. Ils sont mes maîtres.

Pourquoi, paradoxalement, en ces temps gris, l’art est-il la victime d’un harcèlement consumériste et d’une tentative de détournement au profit du divertissement ? Car, lui seul, "l’art, à son plus haut, est cette transmutation par laquelle la vue, à son plus simple, se fait ce qui rend la vie". Or, le monde étant fait d’images salaces et truquées, il convient que le bon peuple perde toute capacité à savoir voir. Urgence alors de prendre le contre-pied et d’ouvrir grand ses pupilles pour dénicher dans l’œuvre de Hollan cette subtilité d’essence divine, ce ressenti face à la perception de ce qui "est trempé de l’eau d’avant la lumière".
Oui, Alexandre Hollan, à sa façon, "est peintre d’icônes" car son approche de la réalité est hors langage : ses peintures "où il descend jusqu’au vertige dans l’abîme de la couleur sur des chaudrons rouillés" sont notes poétiques sur la partition de nos vies bien ternes en comparaison.

Alexandre Hollan peint ou dessine, huile, aquarelle, fusain se succèdent entre ses doigts mais ses œuvres conservent leur magie. L’artiste n’imite point, il trace à partir de rien un signe en questionnement d’une possible chance de parvenir à troubler son âme. Il décide, puisqu’il dessine, imprime donc sur le papier, la toile, une forme mais sait-il quel signe premier sera cet arbre ? Être conscient de qui ajoute ce supplément au monde pour ouvrir une faille dans l’armure de nos certitudes. Il forme alors une pensée du bout de ses doigts, il invente une "attestation de présence".

Poésie en antidote du politiquement correct pour qu’espoir demeure, poésie qui est « dans les mots la même visée que celle qui entraîne Hollan dans les profondeurs du visible ». Poésie pour ne plus rien voir du chaos. Et se réjouir d’une beauté, même éphémère…

 

François Xavier

 

Yves Bonnefoy, Alexandre Hollan – Trente années de réflexion, 1985-2015, préface de Jérôme Thélot, 210 x 250, plus de 50 reproductions couleur et N&B, L’Atelier contemporain, septembre 2016, 152 p. – 30,00 €

 

Pour lire les premières pages

 

Deux dates à retenir :

- le mercredi 26 octobre 2016 de 18:00 à 19:30 • Signature du livre par Alexandre Hollan à la Galerie La Forest Divonne, 12, rue des Beaux-Arts 75006 Paris 
- le jeudi 3 novembre 2016 de 19:00 à 20:30 • Rencontre avec Alexandre Hollan et Jérôme Thélot pour une présentation de cette monographie consacrée au peintre par Yves Bonnefoy à la Librairie Tschann, 125, bd du Montparnasse 75006 Paris

 

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