Création et expertise : Yves Bonnefoy

Dans l’œuvre d’Yves Bonnefoy (1923-2016), une place considérable, surtout vers la fin de sa vie, est faite à la réflexion sur son travail de création.
Anti-conceptuelle, la poésie de Bonnefoy s'érige comme l’activité primordiale de l’être à l’œuvre, mais aussi le lieu d’une réflexion lyrique fondatrice d'une vision du monde et de l’espace d’une pensée originale. Elle est capable, par la force du langage et de ses sons, de franchir les frontières du rationaliste là où la respiration mentale permet d'atteindre l’Un dans le multiple, et le multiple en l'un de même que l’harmonie dans le désordre, le singulier dans le pluriel, le simple dans le chaos du monde qui soudain se délite par la poussée du poème.
Néanmoins une méta-poétique double sa démarche. Elle répond chez lui à l’exigence d’affirmer la nécessité de la poésie contre tout ce qui pourrait lui soustraire sa légitimité et son espace d’action. Pour lui, la poésie est une critique de qui l’on est ‒ ou doit l’être.
Ce qui entraîne l'impossibilité comme le prouve cette édition de séparer son travail d’écriture de son œuvre critique. Le poète chez lui reste incapable de s’effacer dans cela même qu’il crée comme en ce qu'il étudie.
Que le verbe s’éteigne / Sur cette face de l’être où nous sommes exposés, telle est la porte d'une œuvre où l’exigence du concret reste prédominant, et préexistant à la parole. Bonnefoy  comme le prouve. Et  l'ensemble des textes réunis ici  rappelle que la poésie est active en nous depuis bien plus longtemps que les langues. Et, ajoute-t-il en prolongement dans L'innommable :  Les voix sont pour moi des paroles que je crois avoir entendues dehors où des êtres passent ou se rencontrent, où ils se parlent autant qu’ils me parlent. Je crois que cette sorte de théâtre sans fiction est l’essence même de l’écriture qui va à la poésie"
Tout est là, jusque que Sur la nuit quotidienne où tout est fait non pour annoncer une victoire sur la mort qu’un progrès sur elle, la poésie soit cette expérience de recul, là où parfois à l'aide de la métaphore, la belle saison gagne sur la nuit, ou au moins troue sa frontière.
Existe un combat contre l'ombre. Sans recours à la magie noire mais à la force verbale en une forme d’induction. La poésie pour Bonnefoy en est le chemin, non une arrivée. Preuve qu'il existe là une philosophie qui est aussi une poétique de la vie à la recherche d'une lumière  là où  l’angoisse de la recherche à la joie de l’œuvre à accomplir se rejoignent.
Certes existe tout autant dans ces textes l’expérience de l’inachevé qui donne lieu à l’inachevable. Mais devenant le Voyageur de L’Arrière-pays, Bonnefoy recherche jusqu'au bout un trait qui se refuse à se refermer sur soi. Pour l'affirmation de ce qu'il nomme la Présence (mot clé de l'œuvre) pour en provoquer l’épiphanie par l’expérience et par contre coup offrir l'essentiel, à savoir la dissolution du moi illusoire.

Jean-Paul Gavard-Perret

Yves Bonnefoy, Œuvres poétiques, édition d'Odile Bombarde, Patrick Labarthe, Daniel Lançon, Patrick Née et Jérôme Thélot, Bibliothèque de la Pléiade, n° 667, Gallimard, avril 2023, 1808 p.-, 79€ jusqu’au 31 octobre 2023

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