Stéphanie des Horts et Rita Hayworth : Passionnant, piquant, poignant


L’actrice américaine, Rita Hayworth, née Margarita Carmen Cansino, fut le sex-symbol féminin des années 1940. Surnommée « la déesse de l’amour », elle devient une légende vivante avec son rôle principal dans le film mythique Gilda. Elle fut l’épouse d’Orson Welles, du Prince Ali Khan et de Dick Haymes. Aucun d’eux ne lui apportera le réconfort : derrière le sourire à faire tomber les GI, la bombe cachait une blessure d’enfance. A la quarantaine, la maladie d’Alzheimer s’agrippera à sa chevelure comme une araignée. D’une plume légère, précise et enthousiaste, Stéphanie des Horts retrace à la première personne le destin de cette star, éternelle insatisfaite. Passionnant, piquant, poignant.

 

Pourquoi avez-vous choisi de retracer la vie de Rita Hayworth ? Qu’est-ce qui vous touche tant dans son parcours ?

Parce qu’un jour Gilda est diffusé sur une chaine du câble, je me laisse emporter par le film. Ma fille de 18 ans passe par là et me dit :

— Oh elle est belle, qui est-ce ?

— Rita Hayworth, enfin !

— Rita Hayworth mais c’est qui ça ??

Là je me suis dit que je ne pouvais laisser Rita sombrer dans l’oubli. Surtout que l’oubli c’est quelque chose qu’elle connaissait bien. Et puis j’avais écrit La Panthère qui avait rendu sa vie à une femme sombrée elle aussi dans les limbes d’un autre temps. Alors donc Rita saurait certainement m’habiter aussi …

 

Comment avez-vous fait pour vous mettre dans sa peau et écrire à la première personne ?

Je suis une grosse paresseuse. Je ne sais pas écrire à la 3e personne car je m’ennuie et je m’endors. Je n’aime que les dialogues et les conversations. Et je ne sais pas écrire au passé simple car je suis nulle en concordance des temps. Cela commence bien sur trois lignes et ensuite je mélange le passé composé et l’imparfait : c’est catastrophique. Donc, le plus simple est d’être Rita et de dire Je. Et puis, c’est tellement plus aisé, à partir du moment où le personnage a une résonance en vous, vous lui donnez ce que vous êtes et la magie de l’écriture fait que cela fonctionne.

 

Parlez-nous de son enfance, de cette fameuse blessure secrète qui explique tout ?

Rita a été une marionnette entre les mains d’un père qui n’avait plus aucun succès et qui a décidé de se servir de sa fille pour revenir sur le devant de la scène. Eduardo Cansino a vu en la petite Margarita le potentiel, la danseuse, la sensualité. Et il l’a exploité. En lui expliquant qu’elle ne valait rien. Cette enfance bafouée a rendu Rita si peu sure d’elle même ; elle doutait de tout et d’abord d’elle-même. Sa mère n’a pas su la protéger, plus tard beaucoup plus tard ses frères aussi se sont servis d’elle. La famille de Rita Hayworth est une véritable catastrophe, c’est pour cela qu’elle rêvait tant d’un bonheur bourgeois auquel elle n’accèdera jamais.

 

Comment expliquez-vous qu’elle devienne le sex-symbol des années 1940 ?

L’actrice Rita Hayworth explose au moment où la guerre est déclarée. Son premier film, Seuls les Anges ont des Ailes, celui dans lequel on la remarque vraiment, date de 1939. Enfin, elle accède à la célébrité. En 1941, John Landry la prend en photo en nuisette sur un lit, la photo est publiée dans Life et fait le tour du monde. Les soldats américains partent avec cette image : la pin up souriante et sexy. C’est elle qu’ils punaisent dans leurs casiers. Quand ils reviennent, ils se précipitent au cinéma. Nous sommes en 1946, c’est la sortie de Gilda… et la beauté éclatante de Rita illumine la scène désormais extraordinaire d’un strip-tease avec un seul gant. Le mythe est né.

 

Comment se sont passés les tournages de Gilda et de La Dame de Shanghaï ? De tous ses films, desquels est-elle la plus fière ?

Gilda, elle ne voulait pas le faire. Rita ne voulait plus être considérée comme une femme fatale, elle voulait être reconnue en tant qu’actrice mais elle est en pleine séparation d‘avec l’homme de sa vie, Orson Welles. Alors, elle accepte ce que lui propose la Columbia. Et elle a raison car ce film fait d’elle une légende ; le tournage se passe bien. Rita est une grande professionnelle. Et puis elle s’entend très bien avec Glenn Ford, c’est son meilleur ami. Pour La Dame de Shanghai, c’est diffèrent, il s’agit du crépuscule d’une histoire passionnée, celle d’Orson et Rita. Alors, elle donne tout et elle ne regrette rien. Orson lui offre le rôle d’actrice auquel elle rêve. Elle ne chante pas. Elle a les cheveux courts et platine. Il a cassé son image, celle de la beauté fatale, elle devient une héroïne de roman noir, c’est le plus beau cadeau de rupture qu’il pouvait lui faire et elle le sait.

 

Rita a-t-elle été victime de son succès ?

Non, elle a été victime de son tempérament. Rita est une femme qui aime les hommes à en mourir. Pour eux, elle quitte tout et d’abord le cinéma. On le voit quand Orson se lance en politique ou bien quand elle épouse Ali Khan. Le souci, c’est qu’elle ait laissé passer deux films extraordinaires à cause de Dick Haymes, son 4e mari, qui n’en valait pas la peine. Harry Cohn, le patron de la Columbia, avait une réputation épouvantable mais c’était un faiseur de stars et il savait ce qui convenait à Rita. Mais elle le détestait, elle ne suivait que les mouvements de son cœur.  Et c‘est en cela qu’elle est touchante.

 

Parlez-nous de ses amours…. Quel fut l’homme de sa vie ? Orson Welles, Ali Khan, Dick Haymes ?

Alors Dick Haymes, vous le jetez. C’est un sale mec, passons. Orson a été l’homme de sa vie ; elle a adoré Ali, il est vrai, mais il n’était pas fait pour elle et elle le savait. Ali ne la rassurait pas. Rita avait besoin d’être rassurée, elle doutait tellement. Orson l’épaulait, il lui apprenait mille choses. Il y a une photo extraordinaire sur le tournage de La Dame de Shanghai où l’on voit tout l’amour d’Orson dans un regard. N’importe quelle femme serait renversée par tel regard.

 

Souffrit-elle de ne pouvoir construire une famille ? N’a-t-elle pas privilégié la gloire au bonheur ?

Elle a eu deux petites filles qu’elle adorait et qui sont devenues la chose la plus importante de sa vie. Mais elle aurait voulu garder les papas de ses petites filles. Oui, elle rêvait d’une vie tout ce qu’il y a de plus bourgeoise. Elle voulait faire la cuisine pour son mari et ses enfants. Orson aurait pu lui donner cette stabilité qu’elle souhaitait tant mais elle était si jalouse, son « tempérament de gitane » disait Orson. Il ne savait pas que la maladie d’Alzheimer faisait son chemin, insidieuse et destructrice…

 

Quelles sont vos sources principales ?

J’ai lu des biographies américaines de Barbara Leaming sur Rita et sur Orson. J’ai trouvé une biographie d’Ali Khan qui avait échappé à la censure. J’ai vu tous les films de Rita. J’ai eu beaucoup de mal pour ceux à la fin de sa carrière car son visage est marqué, elle est prématurément vieillie par la maladie et la cigarette. Cela me cause le plus grand trouble. Je ne supporte pas de la voir ainsi. J’ai vu toute l’œuvre d‘Orson, j'ai découvert le Génie à l’état pur. Et puis grâce à la bienveillance de Gilles Martin-Chauffier, j’ai eu accès aux archives de Paris Match.

 

Vous sentez-vous des points communs avec Rita H ?

Oui évidemment, sinon, je n’aurais jamais pu entreprendre ce livre. Le doute de l’actrice fait écho au doute de la romancière, c’est évident. Dans ce don de l’amour à l’homme aimé, dans sa générosité, je me suis retrouvée aussi. Vous savez, on met énormément de soi-même dans une héroïne, alors je lui ai donné ce que je savais de l’amour et je sais que c’est ce qu’elle savait aussi, sinon je n’aurais jamais pu l’écrire. On ne trahit pas une personne réelle en se mettant à sa place dans une biographie, on la rejoint c’est tout. Nos sentiments ne sont pas forcément les mêmes mais l’intensité qu’on va y mettre l’est.

 

Que reste-t-il de la déesse de l’amour ?

Des films exceptionnels que j’invite les lecteurs à regarder. C'est ce que j’ai souhaité entreprendre avec ce livre. Que les lecteurs se précipitent sur ses films et que Rita vive à nouveau ! Il reste des souvenirs. Jean d’Ormesson m’a appelé en me disant « oh je l’a tellement aimé », des souvenirs, c’est paradoxal pour quelqu’un qui a succombé à Alzheimer !

 

Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson

© Photo : L Laume/Albin Michel

 

Stéphanie des Horts, Le secret de Rita H, Albin Michel, avril 2012, 267 pages, 18,90 euros

 

Lire également la critique de Gerald Messadié et l’entretien réalisé par Cécilia Dutter.

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