Xavier Darcos : Dictionnaire amoureux de la Rome antique

« Je suis aussi attaché à cet idéal de civilisation, héritière de la Grèce, qui a su transformer les peuples vaincus en citoyens. Notre Europe a conservé cet art de s’approprier l’étranger. Notre humanisme et notre œcuménisme nous viennent de là. Depuis les écrits des Lumières, on a tenté de fonder l’héritage de l’Europe sur une opposition entre Athènes (l’hellénisme antique) et Jérusalem (la tradition hébraïque). Mais il faut en revenir à la romanité, qui est accueil, assimilation, capacité à accepter l’emprunt. Cette plasticité est notre dignité. Ce fut notre chance. C’est désormais notre risque, face à d’autres cultures obtuses qui récusent et oppriment toute diversité. » Telle est définie l’optique dans laquelle Xavier Darcos, ancien ministre de l’Education nationale aujourd’hui ambassadeur, spécialiste de Mérimée, d’Ovide et de Tacite, a, d’une plume fluide, rédigé cet attachant dictionnaire, subjectif et sans rien d’exhaustif. 


A chaque page transparaît la passion déjà ancienne qui unit le lettré et l’homme d’action à une romanité, vue comme « ce je ne sais quoi qui élève l’âme » (Rousseau). En lecteur attentif des Anciens, X. Darcos se révèle humaniste à la culture étendue, jamais convenue : ne se réfère-t-il pas autant aux poètes qui chantèrent Rome (de J. Du Bellay à P. Valéry) qu’à la passionnante série Rome, aux bandes dessinées Alix ou Murena, aux films Gladiator ou Caligula ? La peinture, l’opéra et même l’inframusique électronique sont aussi convoqués dans ce portrait kaléidoscopique du Romain : paysan superstitieux, ingénieur sans pareil, soldat infatigable, citoyen sourcilleux… 


Parmi les multiples illustrations de l’expansionnisme romain, X. Darcos évoque ce petit village dont les habitants blonds aux yeux verts descendent d’une centaine de légionnaires romains qui désertèrent en 53 AC, traversèrent l’Iran, se firent mercenaires et s’établirent dans… l’ouest de la Chine ! 


L’auteur ne craint pas les allusions à notre époque, à ses mythes, vus cum grano salis : si, pour ne citer qu’un exemple, un certain brassage fut bénéfique à Rome, le multiculturalisme qui en résulta en sapa les fondements. D’Aqueduc à Thermes, d’Auctoritas à Virtus, d’Agrippine à Sénèque, ce dictionnaire nous promène dans l’immense espace romain où la Ville et le Monde ne faisaient qu’un.

 

Christopher Gérard


Xavier Darcos, Dictionnaire amoureux de la Rome antique, Plon, septembre 2011, 768 pages, 26,50 €


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2 commentaires

Le lien entre Rome et l'Europe contemporaine est permanent. Certains essaient d'y retrouver l'humanisme, d'autres les qualités d'assimilation dont notre Europe serait l'héritière. Intéressant de voir à quel point nous transposons en permanence à l'histoire romaine (ou à d'autres) notre vision du monde plutôt que de faire de l'histoire. Au XVIIIème siècle, Edward Gibbon pointait le christianisme du doigt pour révéler selon lui les causes de la chute de l'empire romain, à une période, qui a d'ailleurs duré jusqu'à la fin des idéologies au XXème siècle, où il était bon d'accuser celui-ci de cette décadence. Aujourd'hui, ce serait le multiculturalisme (ou l'ouverture au monde et une intégration incontrôlée de celui-ci) qui aurait sapé les fondements de l'empire romain. Aussi intéressant que particulier à notre époque et à nos questions, et totalement inapproprié quand il s'agit d'étudier sérieusement l'histoire romaine. Mais heureusement, ce dictionnaire se veut amoureux, et comme on dit, le cœur à ses raisons que la raison ignore.

Amoureux également du monde romain et de sa culture, je pense comme indiqué ci-dessus qu'il ne faut pas faire d'anachronisme et transposer nos débats contemporains (multiculturalisme ou pas?) dans le passé.
Au jour d'aujourd'hui, il est clair qu'il n'y a pas d'explication "monocausale" à la chute de Rome. Et quelle chute d'ailleurs? A bien des égards, l'empire Byzantin des Ve-VIIe siècles est un empire romain qui se perpétue (voir les ouvrages de Peter Brown sur ce sujet). J'aime même connu des historiens qui finissaient par soutenir que Rome ne s'était jamais effondré car les royaumes barbares d'Occident révéraient le droit et la culture romaine. Clovis ne se présentait-il pas comme le représentant en Gaule de l'empereur Anastase de Constantinople? C'est excessif mais je trouve qu'il y a un fond de vérité dans cette assertion.