Pierre Chalmin revient

Un roman et un recueil de nouvelles, parus en même temps, attestent du retour sur la scène littéraire de Pierre Chalmin, auteur d’un Dictionnaire des injures littéraires qui a remporté un joli succès. Ce jeune réactionnaire, qui a été, dans le désordre, apprenti-juriste, veilleur de nuit et éditeur, notamment du regretté Jacques d’Arribehaude, réapparaît tout d’abord sous les traits de deux personnages hauts en couleurs d’un amusant roman de Chantal Le Bobinnec. Bretonne de petite noblesse, elle a connu, après une enfance dans le manoir ancestral, les usines du Troisième Reich en flammes où l’avait abandonnée sa mère avant de fréquenter, à Montmartre, le peintre Gen Paul, que conspuent nombre de céliniens. Sur ces années de bric et de broc, Chantal Le Bobinnec a laissé deux récits, auxquels fait suite, pour ainsi dire, Mon ami le libraire, qui narre sur un ton cocasse ses aventures avec un libraire et un couple, enfin, je veux dire  une paire d’éditeurs, présentés comme les Laurel et Hardy de cette respectable corporation. Les initiés comprennent vite que le libraire Pierre Provins et l’éditeur Pierre Charpie, le bien nommé, sont inspirés de Chalmin, que la romancière dépeint comme un érudit dipsomane et coureur de jupons, un misogyne rêveur traité à l’occasion de foutriquet par la narratrice, même si son cœur de « vieille dame indigne » bat la chamade pour la santé mentale et physique du Petit Fol. Drapée dans un antique peignoir, l’ombre de son ami Claude Duneton passe dans ce récit tendre et plein de gouaille.

 

Chalmin nous revient aussi sous son vrai nom, édité à trois cents exemplaires hors commerce par un éditeur bordelais quasi-clandestin dont je me fais un devoir de citer les coordonnées[1]Sorties de crises réunit onze nouvelles grinçantes où l’auteur témoigne de sa sensibilité d’écorché et de réfractaire, d’une certaine immaturité affective aussi, déguisée en misogynie quelque peu forcée, « gauloise ». La plus cruelle : un glorieux épisode de la Libération dans le midi. La plus désopilante : celle qui décrit comment un comité de révision littéraire réécrit en français correct le Voyage au bout de la nuit : « Les choses ont commencé ainsi. Pour ma part, j’avais toujours campé sur un silence obstiné, etc. » À lire cette pochade, je me dis que notre Chalmin devrait être enchaîné à sa table de travail jusqu’à ce qu’il mette le point final au grand roman burlesque et iconoclaste qu’il nous doit.

 

Christopher Gérard

 

Chantal le Bobinnec, Mon ami le libraire, Editions de Paris, janvier 2013, 110 pages, 14€

Pierre Chalmain, Sorties de crises, 23€, à commander directement chez l'éditeur.

 

[1] Trinôme Editions, 4 rue André Darbon, 33300 Bordeaux : www.trinome-editions.com 

 

Voir sur le site de Christopher Gérard le bel entretien avec Pierre Chalmin, datant de 2010.

 

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