Lilith, l'amour d'une maudite, de Nicole Hardouin

Le mythe de Lilith est très ancien : il apparaît déjà dans le récit sumérien de Gilgamesh au IIIe millénaire av. J.-C. puis à l'époque assyrienne et babylonienne, dans la Bible hébraïque et dans la mythologie grecque. Cette démone, "portion diabolique de l'humanité", a finalement inspiré les mouvements féministes à la fin du XXe siècle. Sous la plume de Nicole Hardouin, Lilith, première épouse d'Adam renaît de ses cendres avec l'acuité étonnante d'une plume poétique à la première personne.

Avant toute chose, il s'agit d'un combat entre Eros et Thanatos auquel l'humanité embryonnaire est confronté :

Désirée, désirante, inconnue, reconnue, femme-salamandre qui attise, défie, obsède, émerveille.

Imaginée, respirée, envisagée, dévisagée, déesse-mère, première femme, n'étant pas née d'une côte, comme celle qui m'a succédé.

Je ne dois rien à Adam.

Dès la première page, les dés sont jetés. Hardouin nous plonge dans la liturgie d'instants antérieurs à l'existence d'Ève. Bataille aux avant-postes de la création, transactions entre le néant et la lumière, incandescences entre l'homme et la femme en devenir, avortement spontané de relations pré-humaines.

Rien que cela ! Le poète se met à la place de cette Amazone pré-biblique qui choisit, repousse, commande, détruit et façonne, qui est jalouse de la trop sage Ève et de ses engeances. Lilith, mortifère, séduit le mâle dans ses orages érotiques :

Je repense aux vertiges occultes, lieux de morsures désirantes en désirades, Précipices à la reliure des corps. L'imaginaire galope au cœur de ma sève.

Opium de l'immensité. Écartèlement  des interdits.

Impatience du soir dans les frissons de ma peau. J'hésite à l'orée d'un mirage, poignard qui embroche l'intimité du vécu. Aventure de l'esprit, en une dérive dans le secret d'une faim immesurée.

Oui, impudiquement j'ai aimé la jouissance, et je sais que l'on ne partage pas l'hostie sans faire saigner la vigne.

Peur ou besoin ?

 

Les sillons volcaniques de Nicole Hardouin sécrètent leur lave : pas un paragraphe qui ne harcèle le lecteur. L'alchimie corrosive du verbe prend à la gorge. Les fumerolles sont à la fois byzantines par l'abondance de leurs images et de leurs délires mais aussi romaines, en quelque sorte lapidaires : mots isolés qui concluent une envolée lyrique, mots cruels, "En vain ", "Illusion", "effroi", "est-ce mieux ?", claquant leur désespoir...

Et la femme fatale de finalement s'en aller : Fuite pour me lover dans la planète de Venus, refuge dans ses lumineux abysses. […] Le reflet brisé n'est plus que l'ombre blanche du silence.

Lilith
l'amour d'une maudite : thème mésopotamien mais d'une urgence contemporaine. Recueil majeur de Nicole Hardouin, jeté sur la cellulose avec une plume de feu et un langage de plomb en fusion. Opuscule pour lecteurs qui ne craignent ni d'investiguer un mythe récurrent dans d'antiques civilisations, ni de brûler leur rétine. 

Claude Luezior

Nicole Hardouin, Lilith, l'amour d'une maudite, préface d'Alain Duault, couverture par Colette Klein, éditions Librairie-Galerie Racine, juin 2020, 82 p.-, 15 euros

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