Smells like teen spirit... l'ado, nouveau héros du thriller ?

La tendance est lourde. Hier, Anthony Horowitz, Robert Muchamore ont ouvert la voie. Harlan Coben, John Grisham, James Patterson, Kathy Reichs s’y engouffrent aujourd’hui, élargissant avec fracas les rayons « jeunesse » de librairies saturés en fantasy et littérature mordante. Face à ce nouvel espace réflexif dédié aux ados, assistons-nous à simple détournement de thriller ?


« Voici comment j’ai écrit mon roman pour enfants : exactement comme je le fais pour les ADULTES. Les seules différences sont :

1) L’histoire est plus courte

2) Il est écrit du point de vue d’un jeune de 15 ans. » (1) , répond d’emblée Harlan Coben, l’un de ces auteurs en passe de rajeunir un genre trop longtemps considéré mature.


Leurs héros se nomment Alex Rider, 14 ans, James Adams, 12 ans, Mickey Bolitar, 15 ans, Theodore Boone, 13 ans, Tandy Angel, 16 ans, Tory Brennan, 14 ans... Sont-ils magiciens, gladiateurs du futur, vampires ou loups-garous ? Non, juste collégiens ou lycéens ! Vivent-ils dans un univers parallèle, dystopique, uchronique, au cœur d’un monde merveilleux, dans le futur ? Non, tous grandissent ici et maintenant.

Ces adolescents et adolescentes mis en scène par les plus grands noms du thriller incarnent des personnages ordinaires, propulsés au cœur d’une intrigue extraordinaire. Archétypes inédits, ils abandonnent la panoplie des superpouvoirs, des dons ou malédictions, des mutations génétiques... En situation de handicap, psychologiquement instable, élève studieux ou turbulent, orphelin, geek ou gamer, ce sont des enfants comme les autres, en lutte contre le monde. Contre une société globale et complexe dont la figure héroïque et fictionnelle devient le décrypteur. Car en résolvant sa problématique personnelle (enlèvement d’un ami, disparition d’un ou plusieurs parents, embauche par une organisation secrète...), le héros nouvelle génération expose les dysfonctionnements, les bouleversements, les révolutions... Et révèle l’envers d’un décor apparemment policé et urbain ! Sa quête est une quête de sens. Il cherche à comprendre ce qui lui arrive et non plus ce qui est arrivé. Et déchiffre donc, souvent malgré lui et en temps réel, une grille sociale et familiale, imaginée parfaite jusqu’au basculement de son existence rassurante.


« 1) She was the last person to see her parents alive.

2) The police have no suspects besides Tandy and her three siblings.

3) She can’t trust anyone — maybe not even herself. », prévient James Patterson en préambule à Confessions of a murder suspect (2).


Dans ces conditions, le héros 2.0 n’a plus d’autre choix que d’ébranler sa routine. Il doit partir, se couler en mouvement rapide dans un monde fluctuant. Ces jeunes « détectives » ou justicier de papier pourraient revendiquer la devise du Nautilus, Mobilis in mobile (3) ! Et ressemblent à l’Ulysse d’Homère, condamnés à une Odyssée contemporaine. Pourtant, point de dieux ici, mais des forces obscures et modernes qui animent, complotent, conspirent... Qui ne laissent aucun répit et enclenchent à loisir le compte à rebours de l’apocalypse !

Trois, deux, un...

Oui, dans un thriller, le temps est l’ennemi principal, mais paradoxalement, en forçant à l’accélération exponentielle, il oblige les protagonistes à rattraper cette horloge mondiale qui n’attend pas. La vitesse impulsée par le thriller entre alors en phase avec cette célérité dont se nourrit avidement aujourd’hui l’humanité (4). Mise à jour perpétuelle, gain de compétitivité permanent, fluidité des réseaux, autoroutes de l’information, instantanéité de la communication, rendent parfois illisible le chemin, brouille souvent la direction. Alex, James, Mickey, Theodore, Tandy, Tory, et les autres, en s’élançant vers leur destin redonnent de la visibilité, de la profondeur de champ... Qui mieux que ces teenagers peut interpréter le changement, comprendre la nécessité du renouvellement ?

Leur course-poursuite effrénée rappelle que l’Adolescent est maître de l’avenir, du sien et de celui de la société dans laquelle il s’inscrit. L’Adolescent incarne l’avenir héroïque. Il porte en lui le devenir. Non encore figé dans la matrice organisationnelle, il est capable d’en pirater les grandes lignes programmatrices. À la fin, il dynamite les codes du réel et les recompose au prisme de l’intime.

Le sentez-vous ? Il plane dans l’air du temps un frisson singulier, prompt à enflammer l’imaginaire, à le consumer. Pour le faire renaître de ses cendres ?

Smells like teen spirit...



Guillaume Lebeau

Directeur de la collection "Rageot Thriller"


(1) Métro, 8 février 2011.

(2) Ce roman « young adult » n’est pas traduit en Français.

1) Elle est la dernière personne à avoir vu ses parents vivants.

2) La police n’a aucun suspect à part Tandy et sa fratrie.

3) Elle ne peut faire confiance à personne, peut-être même pas à elle-même.

(3) Mobile dans l’élément mobile.

(4) Sur cet aspect, je conseille la lecture de l’ouvrage du sociologue et philosophe allemand, Hartmut Rosa : Accélération, une critique sociale du temps, La Découverte.

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