Anna Jouy et l’intime : entretien avec l’auteure

 


 

L’écriture d'Anna Jouy est la meilleure formulation possible d'une réalité inséparable de l’émotion. De Fribourg elle fait aussi éclater les images du réel par un détournement particulier dont les mots sont les éléments  perturbateurs. Ils produisent un jeu d'attraction et de répulsion. Tout se joue en cette charnière qui ouvre sur un côté nocturne. Il souligne que notre vie n'a rien à voir avec une "vie intégrale", qu'elle en est même fort éloignée. Avec Anna Jouy une réalité  profonde est donc convoquée en un extraordinaire cérémonial et une mise à nu.

 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? l'aube. pour le jeu des mots. mon blog s'appelle " Les mots sous l'aube". cet espace de transit  réclame de moi ce lever.  la formule, aussi est assez explicite. je" lève le matin" , quelle force n'est-ce pas? de cette façon - j'ai besoin de me lever très tôt pour vivre la deuxième ou la troisième vie. celles qui me sont utiles pour mieux terminer la première : en écrivant.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?   j'étais une enfant toujours dans l'étonnement. les gens, les choses, tout me paraissait particulier et secret. j'avais déjà le sentiment qu'on me cachait quelque chose. alors mes rêves de petite fille ne pouvaient pas se réaliser. ce que je sais, c'est que je me sens retourner vers cet état, après de trop longs dis-cours.

A quoi avez-vous renoncé ? je crois que maintenant j'ai renoncé à l'appartenance. j'ai renoncé à être à quelqu'un, sans qu'on lise là une histoire de possession mais bien plutôt de parfaite semblance)

D’où venez-vous ? de la campagne j'y tiens mais ce n'est pas forcément un plus, et puis  d'une généalogie très nouée de secrets  de non dits- je suis Suisse romande, fribourgeoise.

Qu'avez-vous reçu en dot ? je suis une multi douée qui mis ses talents dans un peu de terre et qui a pensé longtemps que c'était un bon endroit pour pousser. j'ai reçu aussi une grave blessure d'amour propre d'amour sale.  dot ou recel.

Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ? pour l'instant je plaque systématiquement les distractions. j'ai plaqué ma famille aussi mais si cela m'a aidée pour mon travail, ce ne fut pas un choix fait pour cela.

Un petit plaisir - quotidien ou non ? plaisir : un très bon verre de vin. me manque un cigare. j'ai arrêté la fumée.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres créateurs ? chacun possède sa tessiture. c'est ma trace dans l'air. une vraie chance qui me distingue c'est que j'ai peu de matières fondatrices. je me sens inculte et par ce fait je n'ai pas de tentations de faire comme ou assez peu...

Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous  interpela ? une crucifixion de Goya mise en parallèle avec un Jésus enfant  tableau de Latour

Et votre première lecture ? je ne sais plus, des livres de petites collections enfantines je suppose/ le premier grand livre: Jane Eyre.


Comment pourriez vous définir votre travail sur l'intime ? c'est un effort d'explications et de mise à plat du présent (je suis vivante et vous de même je crois) et  une tentative de redéfinition de ce que je suis et qui n'a pas pu voir le jour. en exprimant l'intime, je pense rechercher avec obsession à dire que je ne suis pas ce que vous avez dit que j'étais... (gag un peu mais vérité psychologique également )

Quelles musiques écoutez-vous ? j'aime les compositeurs de musique de films. ils ont une capacité d'éveiller la poésie en moi..karaindrou preisner richter korzienovski zimmer..j'aime écouter les contemporains minimalistes- surtout si ils ont un fonds mystique, le folk américain , le jazz vocal. les compositeurs slaves romantiques.

Quel est le livre que vous aimez relire ? je relis la poésie et tout en poésie peut prêter à être re-trouvé.  les autres, type roman, essai etc. en principe non, je ne relis pas ou alors des passages. comme respirer un parfum pour une image. un livre m'intéresse essentiellement quand je sais que l'auteur est dans chaque page. Et pour ça il faut un sacré style....

Quel film vous fait pleurer ? les films me font pleurer oui ,  mais celui qui m'a fait pleurer pour la première fois..c'était qu'elle était verte ma vallée

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? joker..une vieille femme qui a l'avantage d'être presbyte c'est tout. il n'y a rien dans ce visage d'autre que des travers.

A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? j'aurais beaucoup de difficultés à écrire une lettre à une femme philosophe par exemple... une femme professeur universitaire ou une grande écrivain.  je pense que j'aurais beaucoup plus de difficultés à faire ce pas que le faire vers un homme, parce que ma différence me protège du devoir d'atteindre sa hauteur.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? odessa d'abord. ensuite il y a des endroits que je voudrais voir et qui sont donc de l'ordre du désir mythique...chicoutimi et saint -malo

Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ? les peintres en général me sont  plus proches que les écrivains. je me suis longtemps sentie en résonnance avec le travail d'un artiste nord américain. Lalonde Gabriel- il y a aussi ce personnage Odd Nerdrum qui cultive dans son art une inquiétude et une folie qui me fascine

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?  des pousses pour mon jardin.

Que défendez-vous ?  une forme d'empathie envers les gens et la solidarité

Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"? à cela je ferais la réponse suivante . c'est prendre à quelqu'un qu'on n'a pas un sens qu'il a

Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?" c'est comme me demander mon avis sur la peine de mort: la mort oui mais la peine pas tellement...

 

Entretien réalisé (et graphie respectée) par Jean-Paul Gavard-Perret, le 28 décembre 201

D’Anna Jouy, « Agrès Acrobates », editions P.i. sage intérieur, Dijon, 8 E., 2013

Voir son blog pour écriture en cours : www.jouyanna.ch

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