Entretien avec Frédérique Jacquemin

Le Salon littéraire : Frédérique Jacquemin, vous venez de publier Recettes parfumées du pays des collines bleues. Hymne à Marcel Pagnol, aux éditions La Maison, et bien sûr on ne peut que vous demander : s’agit-il de la cuisine de Marcel Pagnol, ou avec Marcel Pagnol ?
Frédérique Jacquemin : … Il s’agit des deux ! De toutes façons, dans presque toute œuvre il existe une manière de traduire des métaphores grâce au lexique culinaire. Marcel Pagnol a été élevé dans un milieu imprégné de cuisine, au point qu’il en est arrivé à créer des personnages tels que Cigalon. Chez lui, tout est cuisinisé. Ses souvenirs d’enfance sont tous imprégnés de goûts et de parfums. Pister la bartavelle est pour lui une immense aventure olfactive. Il a une mémoire précise de ces multiples odeurs. De son enfance heureuse, il garde une envie : celle de nous faire commettre le péché de bonne chère…
Le Salon littéraire : Ses œuvres, littéraire et filmographique, sont donc liées à la gastronomie ?
Frédérique Jacquemin : Tout est lié à la nourriture. Aux nourritures, aux boissons. César s’adresse à son fils Marius et lui reproche de ne pas savoir faire le mandarin-citron…
Le Salon littéraire : C’est donc vraiment un monde de l’oralité ?
Frédérique Jacquemin : Oui ! Cela saute aux papilles quand on parcourt toute son œuvre !
Le Salon littéraire : Comment avez-vous fait pour retrouver tout ce lexique ?
Frédérique Jacquemin : J’ai tout vu, tout lu, tout étudié ! C’est un vaste travail de recherche qui a duré plus de dix ans. Une première version de ce texte, très différente, avait paru autrefois sous le titre : À table avec Marcel Pagnol. Aujourd’hui, mon livre retrace toute la cuisine provençale de Pagnol, celle qu’il pratiquait, mais aussi quelques-unes de ses recettes personnelles. Il s’agit d’une cuisine provençale populaire, tout à fait authentique, et parfois oubliée de nos jours. Mais j’ai voulu aussi créer une œuvre poétique, en insérant mes créations et quelques notes autobiographiques : c’est mon hommage parfumé au travail de Marcel Pagnol…
Le Salon littéraire : On peut lire dans certaines biographies que les tournages de ses films étaient agrémentés d’agapes…
 

Frédérique Jacquemin : En effet, Pagnol pratiquait une manière de tourner avec des bons vivants, lui-même étant un véritable chercheur de goûts. Les repas d’équipes repues étaient parfois somptueux, d’autant qu’il est arrivé que Fernandel fasse toutes les pâtisseries du Var ou des Bouches-du-Rhône afin d’offrir plus de trente gâteaux différents au dessert… En fin de compte, Pagnol pose une question essentielle : qu’est-ce qu’une œuvre mange ? De quels repas est-elle faite ? Comment se comporte-t-on à table ? Et puis bien sûr, son œuvre est humectée d’une extrême gentillesse, et d’humour – revoir Le Schpountz, et les souvenirs du tournage…
Le Salon littéraire : On découvre dans votre livre des mots provençaux inconnus, ou mal connus : l’aïgo boulido, les favouilles…
Frédérique Jacquemin : L’aïgo boulido se fait les lendemains de gras : on fait bouillir de l’ail et de la sauge ; on mange cette soupe très goûteuse qui nettoie et purifie. Quant aux favouilles, ce sont de petits crabes verts que l’on fait bouillir en soupe.
Le Salon littéraire : Et, tant que nous y sommes, pourquoi doit-on, de la rascasse, garder les têtes ?
Frédérique Jacquemin : Pour faire de la soupe, ou pour faire un fond de sauce, bien sûr !
Le Salon littéraire : Pour les galinettes ?
Frédérique Jacquemin : Oui, ce sont de petits rougets grondins, on peut les préparer avec les têtes d’autres poissons. À votre poissonnier, dites toujours : Gardez-moi les têtes, et réservez-moi les parures. 
Le Salon littéraire : Dans une sorte de rêverie en mathématiques, vous indiquez que vous avez composé un livre en quatre tiers (sic) ! Que sont ces tiers-là ?
Frédérique Jacquemin : Eh bien, je consacre un tiers à chacune des catégories : d’abord, l’eau, le pain et les herbes ; deuxièmement, le gibier ; troisièmement, la pêche ; et enfin, les fruits.
Le Salon littéraire : Ce qui n’explique guère pourquoi l’on se moque du tiers comme du quart ! Et pourquoi de la poésie, dans un livre de cuisine ? Et des fragments autobiographiques ?
Frédérique Jacquemin : J’ai été éduquée par la Provence, par ses ressources, par sa cuisine. J’ai peu à peu regardé tout ce qui vient de la terre avec un autre regard, avec respect : ma poésie veut transmettre tout cela. Pagnol avait un sens inné de la poésie, et une curiosité infinie – comme Colette ou René Char ou Giono, par exemple. Sa bouche est grand ouverte, et cela peut aussi proférer de la poésie… Dans mon poème Chant de Provence, je suggère que le monde de Pagnol et de sa cuisine donne sur un monde encore plus vaste que la Provence. La Nature très diverse dans l’œuvre de Pagnol donne sur un monde riche et foisonnant, qui n’est pas sec comme la garrigue. Comme à L’Isle-sur-la-Sorgue, les rivières sont cachées… Il est vrai que dans ma poésie, j’emprunte à Mistral, à Francis Ponge, à René Char. Et je constate que, sur de très longues durées, nous retrouvons les mêmes sons : cela nous rapproche des anciens. Nous partageons alors, avec les personnes des temps jadis, la langue et le goût. Ce sont là des valeurs maternelles et orales. Des goûts maternés par une langue plus grande que celle de notre mère : la langue de la Terre.

Entretien réalisé par Bertrand du Chambon, le 6 mai 2024

N.B. : Frédérique Jacquemin, Recettes parfumées du pays des collines bleues. Hymne à Marcel Pagnol. Éditions La Maison, mai 2024, 189 p.-, 24€

Parmi d’autres livres parus, citons :
22 & 1 Lames, L’Atelier du Grand Tétras, 2021
Histoire du bleu, éditions Noésis, 2000
Odes à la Mer, Éditions Magellan, 2011
À table avec la Reine d’Angleterre ! 75 recettes classiques anglaises, co-écrit avec Michel Giorgis-Comte, AVÉditions, 2012

Frédérique Jacquemin est également connue pour son œuvre picturale et ses sculptures, qui ont été exposées entre autres au Musée de la Carte à Jouer, à Issy-les-Moulineaux, en 2020.

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