L’Art de la Hammer, les plus belles affiches de la Hammer

Goût Hammer


À une époque où Internet n’existait pas, le public ne savait pas tout d’un film ‒ il n’en savait même pas grand-chose avant d’aller le voir. L’affiche était alors le moyen le plus sûr pour l’inciter à entrer dans une salle. Et les affiches de films fantastiques qu’on (re)découvre dans L’Art de la Hammer étaient un peu, comme disait Proust à propos de Nerval, "le rêve d’un rêve".


L’Art de la Hammer. Ce titre est quelque peu misguiding, comme on dit en anglais. Il semble annoncer une étude sur les décors, les costumes et la mise en scène des films de cette compagnie britannique spécialisée dans le fantastique et qui connut son heure de gloire dans les années soixante et soixante-dix en ressuscitant, entre autres, Frankenstein et Dracula. Mais c’est le sous-titre qu’il convient de lire : "Les plus belles affiches de la Hammer". Peu de texte, donc. Une brève introduction ‒ au demeurant assez mal traduite (double bill, par exemple, est rendu par "double projection" quand l’usage commande de parler de "double programme"), quelques légendes ici et là pour préciser certains points. L’essentiel, c’est l’iconographie.


Et celle-ci est techniquement irréprochable, certaines affiches ayant plus fière allure aujourd’hui sur le papier glacé de cet ouvrage qu’il y a quarante ans dans les halls des salles de cinéma. On ne feuillette pas la chose ‒ on se surprend à l’éplucher jusqu’au bout. Et il y a de quoi voir, puisque l’auteur-collectionneur, Marcus Hearn, a réussi le tour de force consistant à retrouver au moins une affiche pour chacune des productions Hammer. Même les plus négligeables et les plus oubliées sont là. La sélection ne s’en tient pas à des affiches britanniques et l’illustration de la couverture est d’ailleurs empruntée à l’affiche italienne de Dracula 73 ‒ pleine d’allant et de « mordant ». Une lacune importante et surprenante, toutefois : nulle part n’apparaît l’affiche française du film Une messe pour Dracula, l’une des plus recherchées par les fans (y compris et surtout les fans anglo-saxons) : elle représentait Christopher Lee pratiquant une des prises de sang dont il avait le secret sur une jeune fille fort peu vêtue et sur fond de rosace de cathédrale. L’auteur met ironiquement en exergue de sa préface cette citation empruntée à un critique cinématographique anglais indigné : "Seule une société malade peut tolérer de telles affiches, sans parler des films.", mais l’auteur ne se serait-il pas infligé un brin d’autocensure ?


Quoi qu’il en soit, cette omission nous amène à nous interroger sur la charge subversive de toutes ces affiches. Ce qui, paradoxalement, frappe le plus aujourd’hui dans leur composition est la place énorme accordée au texte (formules, slogans, accroches…), désespérant de naïveté dans la plupart des cas. Le sang, les grimaces, les teintes verdâtres, le titre sur l’affiche d’Hysteria (film réalisé par Freddie Francis, grand nom de la maison) ne suffisent pas ; il faut ajouter : "Terrifying suspense… it will shock you out of your seat !" Au-dessus du nom et du portrait d’Ursula Andress dans l’affiche de She (La Déesse de feu) : "The World’s Most Beautiful Woman". Pour Frankenstein et le monstre de l’enfer, la feuille de route est plus détaillée : "His brain came from a genius. His body from a killer. His soul came from hell !" Pour Frankenstein créa la femme, retenez votre souffle, "From flesh and innocence… Frankenstein has created the ultimate in evil ‒ a beautiful woman with the soul of the Devil !" Allez, un dernier, ou plutôt deux derniers pour le même prix, puisqu’on les trouve sur la même affiche, celle de The Damned (rien à voir avec Les Damnés de Visconti ‒ d’ailleurs, le réalisateur, un nommé… Joseph Losey, n’est même pas mentionné) : "All of them doomed by the lurking, unseen evil" ; "Warning ! Don’t go alone, take a brave nerveless friend with you !"


Napoléon osera-t-il encore soutenir qu’un bon croquis vaut mieux qu’un long discours ? La leçon de ces affiches, c’est qu’il faut en fait l’alliance de l’image et du verbe pour faire vraiment rêver. Bien sûr, toutes ces formules nous paraissent ridicules, mais un peu de relativisme historique s’impose. Encore en 1974, des spectateurs s’évanouissaient vraiment dans les salles qui projetaient L’Exorciste. Et, de même que Bergson nous signalait dans Le Rire que nous sommes tout aussi « déguisés » aujourd’hui que nous donnons l’impression de l’être sur d’anciennes photographies, nous sommes sans doute tout aussi naïfs que nos pères et nos grands-pères. Simplement, nous devons l’être d’une manière différente. C’est vrai, on imagine mal de nos jours tant de hype imbécile sur une affiche de cinéma, mais 1. où sont les affiches de cinéma aujourd’hui ? 2. relisez donc quelques-uns des spams que vous recevez quotidiennement dans votre boîte mail.


Esthétiquement, toutes ces affiches n’ont évidemment pas grand-chose à voir avec des Vermeer. Non contentes d’être laides, elles sont souvent assez plates dans leurs prétendus débordements d’horreur ou d’érotisme. Au mieux, de très mauvais goût : ah ! ces deux Tricostéril sur le cou d’une jeune fille victime du seigneur des ténèbres (affiche de Dracula et les femmes) ! Mais on peut se demander si ce n’était pas là, dans ce nec plus ultra du kitsch, que se cachait leur véritable subversion. Leur valeur artistique très limitée ne suscitait qu’indifférence ou dédain chez les bons bourgeois, mais, mises bout à bout, elles avaient ‒ elles et les films dont elles étaient les représentantes ‒ la sournoise efficacité de la mèche à retardement d’un bâton de dynamite. Les citoyens de Sa Majesté la Reine d’Angleterre n’ont pas connu Mai 68, pour la bonne raison qu’ils ont contribué à le faire. Sous les chapeaux melon de la City se dissimulent souvent des cerveaux de hooligans.


FAL


Marcus Hearn, L’Art de la Hammer ‒ Les plus belles affiches des films de la Hammer, Akileos, novembre 2016, 35 €  

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1 commentaire

excellent!  comme tout l'art dit "populaire" ( et comme la musique des années  50/60, source inépuisable d'inspiration actuelle) , ces affiches pourtant ultra efficaces visuellement ont été méprisées par l'intelligentia snob et les critiques d'art branchés, qui ne juraient que par les sinistreries de Bernard Buffet  ou la (les) soupe(s) de Warhol. 

On commence à s'apercevoir seulement maintenant que c'était ça  aussi, l'Art avec un grand A, et qu'entre une affiche de film sixties pétante et ludique  et une "installation" grisâtre et incompréhensible sur une télé pourrie au sous sol de Beaubourg, comme on dit, ya pas photo.

 Et puis, ces affiches  sont peintes  " de mains de maîtres"! Quel talent chez les dessinateurs!! ils sont tous passés à la BD ou aux jeux video, ou quoi?  Les affiches cinéma actuelles  n'utilisent plus que la photo HD , soit des gros plans de tronches d'acteurs- tous points noirs dehors malgré photoshop- soit des dealers à gonflette posant l'air méchant avec des flingues  énormes. Créativité zéro.