"Du Plomb dans la tête" de la BD de Matz au film avec Stallone

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Le dernier film de Stallone n’est vraiment pas une réussite. Mais les conditions dans lesquelles il a été conçu sont bien plus intéressantes que l’histoire qu’il raconte. Du Plomb dans la tête est la création d’un Français, le romancier et scénariste de bandes dessinées Alexis Nolent, alias Matz.


Réalisé par Walter Hill et interprété par Sylvester Stallone, Du Plomb dans la tête ne s’en est pas moins imposé comme l’un des bides cinématographiques les plus fracassants de cette année. On peut imaginer que son exploitation en dvd atténuera légèrement cette déconfiture, mais il serait vain d’attendre un miracle. On pourra éventuellement lui trouver ici ou là certains charmes propres à la série B, mais la faille n’est pas tant dans son budget ou dans sa confection que dans sa conception même. Ou, pour dire les choses autrement, dans son manque de suite dans les idées. Une grande partie de l’intrigue est censée tourner autour du vieillissement du héros interprété par Stallone — les scénaristes ont d’ailleurs fait de lui le père d’une fille d’un âge déjà respectable —, mais il est très difficile pour le spectateur de mordre à cet hameçon, dans la mesure où Stallone fait tout, chirurgie esthétique et botox à l’appui, pour faire oublier ses soixante-cinq ans. Schwarzenegger a commis exactement la même erreur avec le Dernier rempart : pour son retour au cinéma, l’ex-gouverneur de Californie a choisi de se présenter sur l’écran comme un vieil homme, mais essaie constamment de (se) prouver qu’il reste encore très vert. Bref, ces papys qui font de la résistance ne sauraient être pris au sérieux.


C’est d’autant plus regrettable dans le cas de Stallone que Du Plomb dans la tête s’inspire d’une bande dessinée dans laquelle l’âge du héros ne jouait pas un bien grand rôle. L’essentiel de l’intrigue était à trouver dans l’association « contre nature » de ses deux personnages principaux. Certes, tous les buddy movies mettent en scène des couples mal assortis, mais la bande dessinée poussait dans ses derniers retranchements ce principe de « l’incompatibilité d’humeur » : son couple se compose d’un flic et d’un tueur à gages.


Cette dissonance n’aurait sans doute pas la force qu’elle a si elle n’était renforcée par un certain nombre de dissonances techniques, au sens large du terme : manque volontaire de synchronisation entre le texte et les images ; non-respect des codes traditionnels de la narration… autant d’éléments qui devraient retenir l’attention des lecteurs même les plus réfractaires — surtout les plus réfractaires ? — au genre de la bande dessinée.


Peut-être Walter Hill s’est-il intéressé à Du Plomb dans la tête pour se consoler de n’avoir pu tourner Blueberry (qui finit, comme on sait, par atterrir malencontreusement entre les mains de Jan Kounen), puisque Colin Wilson, dessinateur de Du Plomb, avait eu préalablement la charge de dessiner Blueberry quand Jean Giraud, créateur de cette série, était parti explorer d’autres terres ? Mais à l’origine de Du Plomb dans la tête, il y a d’abord un roman d’Alexis Nolent.


Ce roman n’a jamais été publié. Et nous ne pourrons probablement jamais le lire, puisqu’il doit y avoir dans les épais contrats hollywoodiens un paragraphe qui stipule qu’il n’est plus la propriété de son auteur. Mais cela ne semble pas attrister outre mesure Nolent, qui avait eu assez vite l’idée de recycler son affaire avec l’aide de son Doppelganger « Matz » — c’est sous ce pseudonyme qu’il se cache quand il crée des petits mickeys — et celle, donc, du dessinateur néo-zélandais Colin Wilson. Les trois épisodes de ce comicbook n’ont pas connu tout de suite un succès fracassant. Mais ils se sont peu à peu imposés lorsqu’ils ont été réunis en un seul volume et ils ont fait l’objet d’une édition américaine. C’est sans doute celle-ci qui, malgré sa diffusion assez confidentielle, retint l’attention de Hill et Stallone.


Encore une fois, le résultat final (qui sort ces jours-ci en dvd et en Blu-ray chez Metropolitan) n’est guère convaincant, mais il n’est pas inintéressant de se pencher sur le processus qui a permis à une bande dessinée essentiellement made in France de devenir un film hollywoodien, ne serait-ce que parce que cette transmutation s’est faite en quelques mois, alors que, dans ce genre de cas, la paperasserie administrative est telle qu’il faut généralement des années pour que les héros de papier se métamorphosent en ombres vives sur un écran.


Quel est l’origine de votre pseudonyme, Matz ?


Mon vrai nom, Nolent, est un nom normand dont je ne connais pas vraiment le sens, et qui descend en droite ligne des Vikings, même si ça ne se voit pas trop. Mais sa ressemblance avec le participe présent latin nolens, qui signifie « qui ne veut pas, qui refuse », n’est pas pour me déplaire.


J’ai pris un pseudonyme quand j’ai commencé à écrire des bandes dessinées, parce que lorsque j’ai commencé d’écrire pour ce genre, j’avais déjà entrepris un roman, et je ne voulais pas être catalogué auteur de « bd », genre qu’on associait encore aux débiles mentaux à la fin des années quatre-vingt.


Je n’étais pas très bon en mathématiques. J’étais un littéraire, et j’avais été admis en khâgne. Mais je ne voulais pas devenir professeur, comme mes parents l’auraient souhaité. Je ne voulais pas « aller à l’école toute ma vie ». Je voulais devenir écrivain, et j’ai toujours trouvé, en tant que lecteur, qu’il manque un petit quelque chose chez les « écrivains-profs ». J’ai donc préféré faire toute une série de petits boulots.


J’avais cessé de lire des bandes dessinées à treize ans. Je me suis remis à en lire quand j’ai été amené à en faire, un peu par hasard — quand un dessinateur m’a dit qu’il n’arrivait pas à mettre au point son scénario. Je lui ai suggéré que je pourrais essayer de lui donner un coup de main. Le résultat a plu à l’éditeur, et l’album a été publié tout de suite.


C’est donc à ce moment-là que j’ai pris le pseudonyme de Matz. Matz, forme contractée de mastard, signifie en argot « l’homme », « le costaud » (cf. par exemple les romans d’Albert Simonin), après avoir désigné au XIXe siècle « le souteneur ». Même évolution que celle qui a fait que mac, abréviation de maquereau, est devenu mec. J’adore l’argot. C’était la langue de mon grand-père. Je suis consterné qu’elle se perde. Pour la réédition chez Rivages/Noir de mon premier roman, la Nuit du vigile, on m’a suggéré de supprimer certains termes, devenus incompréhensibles pour la majorité des lecteurs. Mais tout n’est pas mort dans l’argot. Le roman de Simonin l’Élégant reste parfaitement lisible et j’entendais l’autre jour dans le métro des jeunes qui parlaient de leur daron.


Quels étaient et quels sont vos rapports avec le dessin ?


Aujourd’hui encore, je suis plutôt consommateur de romans que consommateur de bandes dessinées. J’ai quand même un regret : je chassais les dédicaces quand j’étais petit, mais je n’ai jamais pu avoir celle de Franquin dans ma collection alors que je lui vouais un culte. Chez lui, chaque trait m’enchante, et en plus je trouve les histoires très bien faites. Et j’ai été très content, un jour que je m’entretenais avec un dessinateur américain, d’entendre celui-ci affirmer comme une évidence : « Le meilleur, c’est Franquin. »


Mon père était peintre, dessinateur et professeur d’art, et ma femme est dessinatrice. Ma fille dessine très bien. Moi, je suis nul en dessin. Ma fille, dès son plus jeune âge, lorsque je lui dessinais quelque chose, disait : « c’est pas beau ». Honnête et franc, mais quand même douloureux… Mais j’ai toujours été exposé à l’art pictural. Mon père m’a toujours permis de lire des bandes dessinées, en m’expliquant ce qu’était une bonne bande dessinée. Je me souviens que mon premier voyage aux États-Unis avec mes parents a été un cauchemar : une journée entière au Met, deux jours au Moma, sans oublier le Guggenheim. Moi, j’aurais aimé voir un peu New York ! Toute la journée, tous les jours, j’avais droit à des cours. Mon père m’expliquait le carré blanc sur fond blanc. J’avais vaguement l’impression que c’était une escroquerie, mais, évidemment, il m’en reste quelque chose !


Y a-t-il des heurts dans votre collaboration avec les dessinateurs ?


Dans l’ensemble, tout se passe bien. Le seul regret que j’aie concerne un dessinateur avec qui j’ai travaillé et dont j’aime beaucoup le trait, qui a décidé de laisser tomber une série dont j’attendais beaucoup et qui en plus se vendait bien, Shandy. Mais il n’y a même pas eu de conflit. Il a simplement préféré aller faire autre chose. Ce devait être temporaire… Avec Colin Wilson, il n’y a jamais de friction : il suit scrupuleusement le découpage que je lui propose (plan moyen du personnage, plan serré ; je lui dessine même parfois la grille des vignettes pour une planche) — si scrupuleusement que sa fidélité quelquefois m’étonne. Ma femme me dit qu’il peut être fidèle parce qu’il sait tout dessiner. J’ajouterai qu’il y a aussi chez lui la philosophie anglo-saxonne du « chacun son boulot » (les Français sont souvent plus indisciplinés).


Il faut, de toute façon, s’entendre sur ce que l’on appelle friction. Il a pu m’arriver de réclamer au dessinateur du Tueur de redessiner une planche, mais une bonne engueulade peut être productive. Je regrette que beaucoup de gens ne sachent pas faire la différence entre une bonne engueulade professionnelle et une engueulade privée.


La bande dessinée est un medium agréable puisqu’on est deux, et seulement deux, à travailler sur un projet. Pas de censure, pas de directives. A l’inverse, travailler pour la télévision (j’ai co-scénarisé pour FR2 la série policière Antigone 34) est beaucoup plus difficile et ingrat : tout le monde donne son avis sur tout, il faut composer avec tout un tas d’avis et de recommandations, ou de peurs et même d’autocensures. Ce qui est bien avec la bande dessinée, c’est qu’on est vraiment jugé sur ce qu’on a fait, bien ou mal, succès ou échec. Ce qu’on écrit, c’est ce qui sort. A la télévision, ce qui est diffusé n’a pas forcément grand rapport avec l’idée de départ, ce qui fait qu’on ne sait pas et qu’on ne saura jamais quel destin l’idée d’origine aurait eu…


Si vous vous entendez bien avec vos dessinateurs, cela ne vous empêche pas, dans Du Plomb dans la tête, de prendre un malin plaisir à introduire systématiquement un décalage entre le texte et l’image…


Oui, vous devriez lire aussi le Tueur, construit sur une voix off qui n’a parfois rien à voir avec ce qu’on voit. Ce principe permet au lecteur de s’intercaler, de jouer un rôle actif. Ce que je trouve inintéressant, ce sont les redites entre le texte et l’image. Il faut laisser l’image raconter une partie de l’histoire ; il faut que texte et image se complètent — il ne faut pas qu’ils se chevauchent. Point-contrepoint. Du Plomb dans la tête est sans doute une bande dessinée « littéraire », avec des ellipses qui font partie d’une stratégie qui vise à secouer le lecteur. Et qui ont fait dire à mon père, quand il a lu l’album : « Je croyais qu’il manquait des pages. »


Même si Walter Hill déclare qu’il fait, non pas des buddy movies, mais des anti-buddy movies, formule qui définirait assez bien Du Plomb, le film qu’il a réalisé a une structure assez différente de celle de votre histoire…


Mon principe à l’origine consistait à construire des héros « classiques » et à les faire mourir au milieu de l’histoire, pour que d’autres, moins « emblématiques » mais à mon avis plus représentatifs de l’évolution du monde, les remplacent. C’est ainsi qu’on peut créer une vraie surprise. Mais la cuisine hollywoodienne ne mange pas de ce pain-là. On m’a expliqué que toutes les cartes devaient être distribuées à la fin du premier acte. Cela dit, si vous voyez ce film sorti il y a quelques semaines et qui se nomme The Place Beyond the Pines, vous verrez le personnage principal mourir en cours de route… J’aime bien ce genre de déstabilisation : si jamais vous lisez le Tueur, vous verrez que mon personnage change tout le temps de nom — je ne connais pas moi-même son vrai nom, ce qui conduit d’ailleurs parfois à certaines acrobaties dans les dialogues.


Les scénaristes n’ont pas retenu non plus toute l’enquête initiale qui tourne autour de la crotte de chien restée collée sous les chaussures du tueur, parce qu’il est hors de question d’abattre un chien de sang froid dans un film hollywoodien, et ces histoires de crotte n’étaient pas très ragoûtantes, je suppose.


Stallone étant plus vieux que ne l’était mon personnage, on lui a donné une fille. Bref, tout est un peu différent dans le film, mais je trouve qu’il contient des idées assez amusantes, et j’y ai passé un bon moment. Il y a de bons dialogues, de bonnes scènes de bagarre, comme dans les bains turcs… Bref, je ne suis pas aussi critique que vous…


Certains assurent que ce film a été bien plus réalisé par le directeur de la photographie que par Walter Hill lui-même, celui-ci souffrant d’une dégénérescence maculaire…


Ah ? J’ai passé quatre jours sur le tournage, et ce n’est pas du tout le sentiment que j’ai eu. Il était là à régler ses plans jour et nuit, puisque les scènes auxquelles j’ai assisté se tournaient jusque tard dans la nuit. Plus tard, je l’ai retrouvé à Los Angeles alors qu’il était en train de travailler sur le montage.


J’aime bien les films de Hill. Ils ne sont pas tous bons — Extreme Prejudice, par exemple, est raté, et il le reconnaît lui-même —, mais Southern Comfort est très réussi et j’adore The Driver, qui est pour moi le meilleur hommage jamais rendu à Melville. Car Hill apprécie beaucoup Melville et Alain Delon ! Quand lui et moi avons évoqué Ryan O’Neal devant son assistante, celle-ci ne savait visiblement pas de qui nous parlions. Nous nous sommes dit que devions être vraiment vieux…


Fallait-il absolument que votre histoire se passe en Louisiane ? Avez-vous été séduit par les aspects français de cette région ?


Ils apparaissent très peu dans mon histoire… Je suis allé plusieurs fois à la Nouvelle Orléans parce que c’est une ville que je trouve visuellement magnifique. En outre, je suis passionné par la musique locale et j’avais dans la tête une espèce de bande-son « brass band » quand j’ai écrit mon scénario. Ajoutons que ce haut lieu culturel est aussi un haut lieu de la criminalité. Compromissions, corruption… Les voitures de flics sont très fréquemment garées devant les bars et les boîtes de nuit. Bref, la Nouvelle Orléans est un excellent décor pour une histoire construite autour de la collusion entre police et criminalité.


La bande dessinée Du Plomb dans la tête, par son côté buddy movie et road movie, a, c’est sûr, un certain esprit américain. J’ai un peu vécu à New York et à Los Angeles, je suis allé plusieurs fois à la Nouvelle Orléans. Et puis Colin Wilson, même s’il n’était jamais allé à la Nouvelle Orléans, est un Néo-Zélandais qui vit en Australie… Beaucoup de dessins ont été effectués à partir de photographies que j’avais moi-même prises, ou qu’un de mes amis, qui habite à Brooklyn, avait prises sur ma demande. Tous ces documents, soit dit en passant, ont circulé entre Colin et moi via Internet, car je ne l’ai rencontré qu’une fois les trois albums terminés, lorsqu’il est venu en France pour une tournée de dédicaces.


Je suis un fan de cinéma, de westerns, de polars, mais mon amour du cinéma américain n’est pas un amour inconditionnel et aveugle.


La figure fantasmatique de Kim Basinger revient régulièrement au fil des pages…


Le choix de Kim Basinger est un peu arbitraire. C’est un clin d’œil à L.A. Confidential, le livre et le film, qui ont sans doute inspiré une partie de mon histoire, puisqu’on y voit l’association entre un flic honnête manipulateur et un flic véreux manipulé. Kim Basinger est la femme fatale. Je me suis demandé après coup si elle n’était pas un peu trop vieille pour ce rôle et si je n’aurais pas mieux fait de choisir Jennifer Connelly, qu’on voit dans The Hot Spot, de Dennis Hopper, d’après un roman de Charles Williams. Mais ce n’est pas important : c’est une figure quasi abstraite, un motif quasi symbolique.


Une très large partie du corps de Stallone est tatouée dans Du Plomb. Manière indirecte de rendre hommage à la bande dessinée d’origine ?


Je ne sais pas. La seule question que je me suis posée en voyant ses tatouages a été : sont-ils l’œuvre de sa fille ? On ne le sait pas, mais on suppose que non... Le tatouage est à la mode. Tous les sportifs sont tatoués. Il y a là une chose qui m’échappe, d’autant plus que ces tatouages représentent souvent tout et n’importe quoi. Et ces marques sont là pour la vie. Je ne puis supporter ce caractère irréversible. J’ai essayé de comprendre, en interrogeant des tatoués. J’ai eu droit à des explications fumeuses évoquant des rites de passage… Quand on pense en plus au prix que coûte cette affaire et aux contraintes qu’elle entraîne (crèmes, épilation, protection contre le soleil) ! Moi, je ne veux même pas mettre d’autocollant sur mon scooter.



Propos présentés et recueillis par FAL




Du Plomb dans la tête, de Walter Hill, avec Sylvester Stallone, Sung Kang, Sarah Shahi, Jason Momoa, Christian Slater.

DVD et Blu-ray

Metropolitan Film & Video.


Colin Wilson et Matz

Du Plomb dans la tête, l’Intégrale

Casterman

16,00 €


Réédition février 2013 dans un format plus large, avec nouvelle couverture et préface (très brève) de Walter Hill

Casterman

22,00€

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