Le cinéma de la revue Starfix (1983-1990)

Trente ans et des poussières d’étoile


L’équipe d’origine de la revue Starfix (1983-1990) s’est reformée pour produire un ouvrage, Le Cinéma de Starfix, qui entend prolonger des réflexions entamées il y a un tiers de siècle. Un lecteur fidèle se souvient…


Sans doute pourrais-je vous parler assez longuement du Cinéma de Starfix ‒ Souvenirs du futur, puisque j’ai eu ‒ douteux privilège de l’âge, j’imagine ‒ l’honneur d’assurer la coordination de cet ouvrage collectif, mais ce serait évidemment être juge et partie. Starfix, pour ceux qui l’ignoreraient, est une revue de cinéma qui parut de 1983 à 1990 et qui se piquait de parler sérieusement (ce qui ne veut pas dire pompeusement) d’un certain nombre de films ou de sujets cinématographiques superbement dédaignés par d’autres. Pour ne donner qu’un seul exemple, nous fûmes les premiers à signaler qu’un jeune homme nommé James Cameron, auteur d’un film intitulé Terminator, allait sans doute faire parler de lui.


L’ouvrage qui paraît aujourd’hui se compose de deux parties, un best of des trente premiers numéros de la revue, et toute une série de nouveaux articles écrits par les rédacteurs de l’équipe d’origine qui, vingt-cinq ans après donc, se sont retrouvés pour, diraient les Américains, cette "class reunion". L’une des ambitions de cet ouvrage est de prouver que le divorce qu’on ne manque jamais de souligner entre les artistes et la critique n’est pas une fatalité, puisque, pour reprendre la plaisante formule employée par l’un d’entre nous, certains Starfixiens sont passés "du côté obscur de la Force" : Chistophe Gans, Nicolas Boukhrief, Doug Headline sont aujourd’hui réalisateurs ; François Cognard a préféré la casquette de producteur (ceci n’est pas un cliché : François Cognard porte vraiment une casquette). Les autres, parmi lesquels votre humble serviteur, ont continué de taper des textes sur le clavier de leur ordinateur. Cela ne signifie pas pour autant que deux clans se soient formés.


Je m’efface ici pour laisser la parole à Nicolas Rioult. Nicolas Rioult n’a pas participé au Cinéma de Starfix, mais il représente ce qui a constitué un élément fondamental dans la spécificité de la revue ‒ ses rapports avec ses lecteurs. Bien évidemment, aucune publication n’a de sens si elle n’atteint pas un public, mais Starfix constituait un cas à part, dans la mesure où la moyenne d’âge de ses rédacteurs au moment de sa création tournait autour de vingt ans (je devais personnellement en avoir déjà trente et un ‒ j’étais l’ancêtre). Il y avait donc, entre ces rédacteurs et leurs lecteurs, une proximité, une complicité uniques. Pour reprendre une idée exprimée par le réalisateur Pascal Laugier, ancien lecteur de Starfix, dans une interview qu’on pourra regarder sur YouTube, les lycéens de quinze ans trouvaient en lisant Starfix la légitimation de leurs goûts que leur refusaient les institutions officielles, qu’elles se nomment lycée ou famille.


Nicolas Rioult fut le premier gardien de la flamme. La disparition de Starfix en 1990 ayant suscité chez le lecteur qu’il était un sentiment de frustration, il décida d’aller interroger tous les membres de l’équipe pour se faire leur historiographe. Il publia initialement son Starfix – Histoire d’une revue sous la forme d’un fanzine, mais ce fanzine est devenu, il y a cinq ans, un vrai livre (que l’on se peut se procurer aujourd’hui dans certaines librairies spécialisées). Nicolas Rioult n’avait pas encore entre les mains l’ouvrage Le Cinéma de Starfix quand il a écrit le texte qui suit. Il se remémore, simplement, la revue Starfix.


FAL



ON NE VIT QUE DEUX FOIS


1. Une photo noir et blanc en médaillon, celle du petit garçon héros du funèbre Bouge pas, meurs, ressuscite de Vitali Kanevski (1), ornait la somptueuse couverture en rouge et noir du dernier numéro de la revue de cinéma Starfix, qui portait pour sous-titre "Version originale". L’enfant semblait toiser le lecteur du regard.


2. Le titre du premier long-métrage du cinéaste russe, sorti quelques semaines avant la parution de ce numéro-épilogue, correspond bien à l’idée d’écrire sur le cinéma, à l’activité de "critique", cette profession souvent mal vue des gens, surtout s’ils sont réalisateurs. Le texte comme continuation de la projection, comme mise en lumière des fantômes, comme inscription de formes par définition évanescentes. Sans texte sur les œuvres, pas d’œuvres. En tout cas, sans témoin pour les regarder et raconter ce qu’ils (y) ont vu, elles deviendraient des ombres englouties dans l’oubli du temps. Et on peut avoir, comme ce fut mon cas, une admiration pour certains critiques au moins égale à celle qu’on porte aux cinéastes aimés.


3. Colin Firth, fringant quinquagénaire si l’on en croit ses récentes prestations dans Kingsman ou Bridget Jones Baby, a eu la chance d’avoir son portrait nécrologique dans Starfix. Quel est l’homme qui ne rêve de savoir, comme James Stewart dans La vie est belle, ce qu’on pensera de lui après sa mort ? Je me souviens avoir été choqué d’apprendre le décès accidentel de ce jeune acteur anglais découvert quelques mois plus tôt dans Another Country de Marek Kanievska, petit film désormais oublié vu à l’époque sur la seule foi des louanges publiées dans ladite revue (2). Lorsque, plus tard, Colin Firth a continué à apparaître dans de nouveaux films – car non, il n’était pas mort ; c’est à la suite d’une information erronée (3) que cette nécrologie avait été rédigée –, j’ai douté de ce que je voyais : ce Colin Firth ne pouvait pas être celui dont on avait fait le poignant éloge funèbre. À moins que… Bouge pas, meurs, ressuscite.


4. Si on n’en prend pas soin, les films meurent, même les plus récents. Il y a quelque temps, mon travail m’a amené à assister à l’étalonnage de la nouvelle copie Haute Définition de Crying Freeman. Le négatif du premier long-métrage de Christophe Gans, tourné en 1994, était bloqué mais les obstacles pour y accéder avaient enfin été surmontés. Le précieux élément a donc été scanné, garantie que le film continue à exister dans les années à venir. Assis dans la salle de projection du laboratoire Technicolor à côté de Christophe Gans venu vérifier si l’image était bien conforme à ses intentions d’alors, je me remémorais le garçon de vingt ans que j’étais, assistant à Paris à la première projection de presse de sa vie, au très sélect Club 13, installé dans un moelleux fauteuil de cuir. J’étais venu de province voir Crying Freeman, car ce devait être, dans ma tête, la dernière pierre de l’édifice qui m’avait occupé corps et âme pendant plusieurs mois : un numéro du fanzine que j’éditais, Phantom, spécialement consacré à l’aventure Starfix. Bref, j’imagine la joie qui aurait été mienne si on m’avait dit que deux décennies plus tard, je reverrais ce film à-côté-de-mon-critique-de-cinéma-favori-de-quand-j’étais-enfant. Curieuse sensation que celle de ce déjà-vu revu et corrigé après un si vaste intervalle. Si vaste que je ne suis pas sûr que le moi d’aujourd’hui et le moi d’alors se reconnaîtraient s’ils se rencontraient.


5. En langage post-starfixien, le titre du film de Vitali Kanevski aurait pu être traduit par "Bouge pas, Va mourire, ressuscite". "Va mourire", comme le titre volontairement mal orthographié du premier film de Nicolas Boukhrief (4), l’un des fondateurs de Starfix et auteur d’un dernier édito sépulcral ; une interjection mal élevée et déconnante, comme pour dire merde à tous les gardiens de l’ordre.


6. Si je devais citer un cinéaste symbolisant ces années Starfix, ce serait Stéphane Drouot, auteur de Star Suburb, étoile filante du cinéma français. Ce film raconte l’histoire d’une petite fille vivant dans une sordide banlieue de l’espace et se rêvant princesse cosmique. Star Suburb a remporté le César du meilleur court-métrage et faisait figure de référence pour de nombreux cinéphiles dont certains allaient devenir cinéastes. Gaspar Noe (Irréversible), Jan Kounen (99 F), Albert Dupontel (Bernie) ou Lucile Hadzihalilovic (Innocence) l’ont souvent cité comme une influence importante. Drouot était le cinéaste français le plus prometteur des années quatre-vingt. Il est décédé en 2012, sans jamais avoir rien tourné après son premier essai. Starfix avait consacré à ce film de science-fiction un long article sous la plume de Jérôme Robert (5). C’était une prouesse technique à l’époque, avec ses buildings futuristes, ses séquences de rêve pastichant Star Wars – tout cela en Cinémascope et filmé dans l’appartement du jeune réalisateur. A la fin, l’héroïne, qui a vu ses rêves de gloire s’envoler, se retrouvait seule dans la cuisine de son domicile, comme dans ce cliché bêta souvent utilisé pour désigner un certain cinéma. L’histoire personnelle de Stéphane Drouot a rejoint celle de son héroïne, et lui aussi a fini, malade, par vivre reclus dans un petit appartement de banlieue. Entre la tête dans les étoiles et les pieds dans la réalité, il faut parfois accepter de voir mourir une partie de soi. Bouge pas, meurs… ressuscite ?


7. Starfix est mort en 1990, et pourtant, un « hors-série » de la revue sort ce mois-ci, conçu par les rédacteurs de la grande époque. L’occasion de se faire un nouveau fix de Star et de dire adieu à la nostalgie. Et soudain de comprendre que ce regard du petit garçon de la couverture que je croyais frondeur avait été mal interprété. Cette œillade me désignait en fait ce moment du temps où la revue chérie de l’enfance sortirait de son tombeau. Au cinéma, on appelle cela un flash forward. En version originale, un souvenir du futur.


Bouge pas

Meurs

Ressuscite


Nicolas Rioult


(1) Caméra d’or au festival de Cannes 1990. Les amours de deux jeunes adolescents en 1947 à Soutchan (ville natale du réalisateur et aujourd’hui rebaptisée Partizansk), petite ville minière d’Extrême-Orient au bord de la mer du Japon, à proximité d’un camp de prisonniers où se trouvent des détenus japonais.

(2) Ce film s’inspire de l’histoire des "cinq de Cambridge", dont Guy Burgess, Anthony Blunt et Donald Maclean.

(3) "Elle avait été communiquée à Starfix par une source digne de foi. Il n’y avait pas Internet à l’époque et il était difficile de recouper une information", nous souffle FAL dans l’oreillette. Pour le lecteur de l’époque, jeune et naïf, toute info parue dans la revue était la Vérité. Et si erratum il y eut, comme FAL me l’a affirmé, je ne l’ai jamais lu.

(4) Voir à ce sujet l’interview de Nicolas Boukhrief publiée dans le Salon littéraire sur son film Made in France.

(5) Préposé aux articles "techniques" dans Starfix ; aujourd’hui chef opérateur.


Le Cinéma de Starfix ‒ Souvenirs du Futur

320 pages : 200 pages composées d’articles extraits des trente premiers numéros de Starfix ; 100 pages de textes inédits, écrits spécialement pour cet ouvrage par les membres fondateurs de la revue (Nicolas Boukhrief, François Cognard, Christophe Gans, Doug Headline, Christophe Lemaire, Frédéric Albert Lévy, Hélène Merrick, Matthias Sanderson). Avant-propos de William Friedkin et préface de Mathieu Kassovitz.

Hors Collection

Octobre 2016, 32€.

2 commentaires

Starfix fut la revue de cinéma des cinéphiles non dogmatiques. On le lisait avec ferveur parce que nous aimions Eastwood ET Godard, Verhoeven ET Visconti, Fritz Lang et Tati, Romero ET Sirk,...

Je me suis procuré le volume qui ne m'a pas déçu même si, une fois encore, c'est une invitation à la contemplation mélancolique. ;)