007 seul contre toute la presse

Sévices de presse ?

 

Spectre n’est évidemment pas Star Wars 7, mais il restera comme l’un des grands triomphes de la production cinématographique 2015. A ceci près qu’il a eu contre lui, en tout cas dans les pays anglo-saxons, la quasi-totalité des critiques. Petit bouquet de ces fleurs empoisonnées.

 

Un critique britannique a accusé Spectre d’avoir fait de James Bond un « héros aux pieds d’argile », et son article sur le film se concluait par une interrogation qui n’en était pas une : « Que peut-il arriver à Bond après cela ? Je n’en ai pas la moindre idée, et, pour la première fois, je crois que je m’en fiche… »


Tous ses confrères n’ont pas été aussi négatifs, mais, alors même que, dès sa sortie, Spectre attirait en masse les sujets de Sa Gracieuse Majesté au point de battre des records au box office, l’enthousiasme de la presse britannique était étonnamment nuancé. Le reproche le plus violent, et unanime, concernait le traitement infligé à la malheureuse Monica Bellucci. Camilla Long, journaliste du Sunday Times, regrette que Bond, incapable de se dégager du carcan de certaines formules, ait omis d’inclure le sexisme dans la liste de ses ennemis. Le Guardian a vu dans la rencontre entre Bond et la veuve Sciarra un « faux pas de dinosaure ». Certains ont noté que Craig, âgé de quarante-sept ans, préfère finalement une jeune femme de trente ans à une femme de cinquante et un ans. Le Spectator ironise en regrettant que Bond ne reste pas plus longtemps avec cette femme du même âge que lui — enfin, presque, puisqu’à l’heure qu’il est, si l’on prend comme référence les romans de Fleming, Bond doit bien avoir quatre-vingt-dix-huit ans !

            

Même le prégénérique et son plan-séquence initial ont des détracteurs. Un critique explique qu’après le plan-séquence d’ouverture de The Player d’Altman (sept minutes) et celui de Birdman (autrement dit la totalité du film), il ne peut plus supporter ce genre d’acrobatie cinématographique. The Irish Times ne manque pas de saluer l’exploit, mais ajoute que tout le plaisir du spectateur est gâché par l’idée qu’il va falloir s’encaisser pour le générique « l’affreuse chanson de Sam Smith », ajoutant que la présence de Craig dans les images de ce générique nous ramène à un principe de l’ère Roger Moore. Le Sunday Times s’étonne que les « Bond » soient les seuls films à s’autoriser aujourd’hui des génériques d’ouverture aussi longs. Le Guardian, plus cinéphile, trouve que la présence répétée de pieuvres dans ce générique contribue à lui donner un cachet zulawskien (cf. la fin de Possession).

            

Peu de commentaires, à vrai dire, sur les interprètes. Le Guardian, sans regretter la chose, trouve dans le Blofeld de Cristoph Waltz des échos directs (et volontaires) du méchant de la série parodique Austin Powers, tandis que le Daily Telegraph salue la manière dont le comédien choisit de « sous-jouer » un personnage foncièrement ridicule. Léa Seydoux, dans le même journal, est définie comme « l’arme secrète du film », parce qu’elle introduit « un peu d’émotion dans des scènes qui relèvent de la pantomime ». Quant à Craig, on reconnaît en général qu’il s’acquitte correctement du cahier des charges et qu’il a le mérite — tout comme Ralph Fiennes — de paraître son âge, ce qui va dans le sens de la lutte entre la vieille et la nouvelle génération du MI6 qui est l’un des nœuds du scénario ; le Guardian espère que le comédien n’en a pas fini avec Bond, mais, si c’est le cas, il n’aura pas raté sa sortie. Toutefois, le Sunday Times et l’Evening Standard sont nettement moins conquis. « Il semble se moquer royalement de tout ce qui lui arrive », explique le second. Ailleurs on n’est pas surpris que Craig ait pu déclarer qu’il préférerait s’ouvrir les veines plutôt que de tourner un autre « Bond » : « Ça se voit sur l’écran. »

            

Mais, lorsqu’on y regarde de près, on se rend compte que les reproches adressés à Craig s’adressent en fait au scénario de Spectre et à son principe même. C’est dans The Economist que la question est analysée de la manière la plus précise et la plus convaincante : « Il arrive de temps en temps que les “ Bond ” suggèrent que le héros pourrait bien être un être humain. Dans Dr. No, nous apercevons la garçonnière de James Bond. Dans Au Service secret de Sa Majesté, 007 était suffisamment vulnérable pour renoncer à son célibat, et dans Rien que pour vos yeux, nous le voyons déposer des fleurs sur la tombe de son épouse. Mais il a fallu attendre Daniel Craig pour que Bond devienne un personnage avec un passé derrière lui. Après Casino Royale et Skyfall, Spectre poursuit l’exploration de son histoire personnelle. Mais cette exploration est si profonde qu’elle risque fort de saper les fondements de toute la série.

            

« Cet intérêt obsessionnel pour l’enfance traumatisante des héros est devenue monnaie courante dans toutes les séries d’aventure et d’action. Voyez les prequels de Star Wars ou Gotham, la série de la Fox sur la jeunesse de Batman. Mais une telle évolution est singulièrement inappropriée pour Bond. L’agent secret imaginé par Fleming était un type chargé d’une mission, un espion anonyme parmi tant d’autres, un simple rouage dans le mécanisme de l’espionnage propre à la Guerre froide. C’était 007. Ce n’était pas 001. » Et le critique de The Economist poursuit en disant que si toutes les actions de Bond sont finalement motivées par la jalousie d’un frère de lait, elles deviennent proprement insignifiantes. The Irish Times soupçonne Bond de se rendre à Rome uniquement pour accumuler des miles et avoir des réductions sur ses futurs billets d’avion. Variety le compare implicitement à un caillou rebondissant de Londres à Rome, puis de Rome à Tanger. « Poursuites, décors exotiques, voitures, girls, nous connaissons tout cela par cœur », s’afflige The Spectator, précisant même : « Quand C [supérieur hiérarchique de M], accuse 007 d’être préhistorique, il n’a pas tout à fait tort. » Plus indulgent, l’Irish Times explique que, comme la série est maintenant vieille d’un demi-siècle, « il est bien difficile de dire si ses redites sont des références délibérées ou le fruit de simples coïncidences ».

            

L’Evening Standard  va dans le même sens et définit Spectre comme un palimpseste, une simple anthologie des précédents « Bond », parce que producteurs et scénaristes interdisent désormais à Bond de se mêler de notre réalité : « Les vraies menaces et les vrais sujets d’inquiétude ne manquent pas sur la planète, mais il n’est pas question que Bond s’attaque à des menaces telles que le terrorisme islamiste. Cela risquerait de faire baisser les recettes dans certains pays. »

 

FAL

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