Le Cinéma de John McTiernan

Rêves de cristal

Bruce Willis dans Piège de cristal. Sean Connery dans À la poursuite d’Octobre Rouge. Schwarzenegger dans Last Action Hero... Derrière ces grands héros du cinéma des années quatre-vingt, un seul et même réalisateur, mais peu connu du grand public. Le bref, mais dense essai de Claude Monnier intitulé Le Cinéma de John McTiernan entend réparer cette injustice.

Le réalisateur américain John McTiernan a eu droit en 2014 à un hommage de la Cinémathèque française, ce qui l’a sans nul doute comblé d’aise.

Il aurait dû se méfier. En l’occurrence, cet honneur accordé par les Français sonnait le glas de sa carrière. Certes, plusieurs projets associés à son nom ont été annoncés au cours des trois dernières années, mais aucun ne s’est concrétisé. Grandeur et misère hollywoodienne : il est bien difficile de réussir un comeback quand on a connu de gros échecs au box office et qu’on a, de plus, été condamné à un an de prison pour avoir mis son producteur (sans parler de sa propre femme…) sur écoutes. Le souvenir glorieux d’Un piège de cristal ne saurait reléguer au second plan la déconfiture d’un 13e Guerrier ou d’un Basic (ce film, tourné en 2003, risque fort d’être le dernier-dernier de McT).

Paul Verhoeven a été un peu dans le même cas. Mais Paul Verhoeven a pu et a su se refaire une santé dans son Europe natale avec The Black Book et Elle. John McTiernan était et reste trop américain pour pouvoir disposer d’un joker. Hollywood s’incline devant les wonderboys quand ceux-ci séduisent le public, mais leur en veut beaucoup lorsque, à force de jouer avec le feu, ils allument des incendies.

Jouer avec le feu, cela a consisté, pour McTiernan, à faire des films qui, chacun à sa manière, parlent du cinéma. En tête, bien sûr, Last Action Hero, frère jumeau (apparemment plus commercial) de La Rose pourpre du Caire de Woody Allen et remake de L’Illusion comique de Corneille. Mais on ajoutera, entre autres, Predator avec son alien se fondant dans la nature, Thomas Crown avec son tableau dissimulé sous un tableau, Basic avec son disparu aussi peu disparu que certains personnages des Dix Petits Nègres : ces trois-là au moins s’inscrivaient eux aussi sous la rubrique « métacinéma » dans la mesure où ils avaient pour ambition de faire voir l’invisible. Un tel Aufhebung ravit le public quand celui-ci a le sentiment qu’il a accès à des secrets ; il le refroidit quand il a l’impression qu’on lui casse ses jouets. Ce qu’avait fort bien expliqué un jour Jerry Lewis devant un public d’étudiants : si l’on s’amuse à briser systématiquement le quatrième mur, on se condamne à être Godard, avec le prestige et l’enfermement que cela implique. On ne saurait être à la fois le chouchou des salles du Quartier Latin et de celles des Champs-Élysées.

L’essai de Claude Monnier publié chez L’Harmattan et intitulé « tout simplement » Le Cinéma de John McTiernan se garde de passer en revue l’un après l’autre tous les films du réalisateur, ce qui conduirait à l’établissement d’une hiérarchie bien inutile quand on entend étudier une œuvre. En revanche, et bien plus efficacement, il explore, à travers toute une série de thèmes, de mythes et de représentations, les raisons qui ont poussé McTiernan à vouloir être à la fois ‒ et pour son malheur ‒, comme nombre de ses personnages, Thésée et le Minotaure ! Sans doute est-il venu trop tard dans un monde trop vieux. La première partie de l’ouvrage ne sacrifie pas à la biographie pour le plaisir : elle nous montre que McTiernan n’est qu’un transfuge. Formé au départ, théoriquement et pratiquement, dans l’univers du théâtre, il ne pouvait pas, même avec la meilleure foi du monde, ne pas garder vis-à-vis du cinéma une distanciation « brechtienne » qu’il allait finalement payer cher, mais qui apporte aussi à son cinéma cette contradiction essentielle sans laquelle il n’est pas de véritable entreprise artistique.

FAL

Claude Monnier, Le Cinéma de John McTiernan, L’Harmattan. Juillet 2017, 13€.

Aucun commentaire pour ce contenu.