"Daredevil - Dark Nights", ô douce nuit…

Quand Frank Miller arrive sur la série Daredevil en 1979, il lui inflige un véritable électrochoc, aussi bien  graphique que narratif. Délaissant rapidement les crayons pour se consacrer à l'intrigue et l'ambiance, il s'associe avec le dessinateur Klaus Janson puis le génial David Mazzucchelli pour raconter sa version de Matt Murdock, avocat aveugle le jour, et super-héros aux sens hyper-développés la nuit. Miller s'attarde essentiellement à faire de la série un polar noir : femme fatale, gangsters de la pègre, caïds, bas fonds, drames et violence sont de la partie. Les lecteurs de Strange à l'époque s'en souviennent encore : la série a été censurée en France. Et mine de rien, Miller allait instaurer ce style sombre et dépressif pour longtemps. Et Daredevil d'enchaîner névroses sur dépressions depuis plus de trente ans…

On aurait tendance à oublier qu'à sa création, le héros est beaucoup plus léger et coloré. Lorsque Stan Lee crée le personnage en 1964, il s'agit pour le scénariste de surfer sur le succès des héros urbains après le succès de Spider-Man. Mais la série vivote : DD affronte des adversaires de seconde zone plutôt kitsh, et sa vie privée est rythmée par un triangle amoureux digne d'un soap télé. La sauce ne prend pas tout de suite, et il faudra l'arrivée de John Romita, puis surtout de Gene Colan pour que les ventes décollent. Gene Collan qui glissait déjà dans son dessin les bases d'un graphisme plus sombre et plus adulte sur lequel s'appuierait plus tard Frank Miller.

La première histoire du recueil Dark Nights est de très loin la plus intéressante. Lee Weeks qui se charge ici du dessin et du scénario connaît bien le personnage, puisqu'il a longtemps dessiné la série dans les années 90. "Des anges, à leur insu" se déroule dans un New York enseveli sous une énorme tempête de neige. Daredevil doit retrouver l'épave d'un hélicoptère qui transportait un cœur destiné à être greffé à une petite fille. Le temps presse, les parents sont au bord de la crise de nerf… et nous aussi ! Car Weeks s'emploie à construire une histoire prenante, poignante même, où le héros n'affronte pas, pour une fois, une ribambelle d'affreux, mais les éléments. C'est un véritable festival visuel auquel nous convie l'artiste, une petite merveille graphique.

David Lapham se charge lui de la deuxième histoire sur laquelle on passera rapidement par politesse. Tout au plus peut-on souligner qu'elle montre à quel point les adversaires de Daredevil sont parfois ridicules. Est-ce un hommage volontaire au premières années ? On peut en douter. Reste une dernière planche hilarante.

Enfin, dans la dernière histoire, après New York enneigé, Jimmy Palmiotti transporte notre héros à Miami puis à Cuba, sous un soleil de plomb. Le changement d'ambiance est radical, et pas désagréable. Fini l'introspection, place à l'action en quelque sorte, dans une histoire qui file pied au plancher, rythmée et sans aucun temps, servie par les dessins efficaces de Thony Silas. Ça n'est peut-être pas très malin ni intelligent, mais on ne s'ennuie jamais.

Dark Nights propose trois récits complets aux ambiances très différentes, mais qui font en quelque sorte la synthèse des styles qui ont traversé la série.

Stéphane Le Troëdec



David Lapham, Lee Weeks (scénario et dessins), Jimmy Palmiotti (scénario) et Thony Silas (dessins)
Marvel 100% Daredevil - Dark Nights
Traduit de l'anglais (USA) par Nicole Duclos
Édité par Panini Comics (août 2014)
Collection Marvel 100%
176 pages
17,50 euros
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