Tuer la mort ou le projet Zéro K

Toujours plus vite, plus loin, plus grand... toujours plus mais un jour, le grain de sable bloque la machine ; le corps de l’Homme est faillible, putrescible, fragile finalement, sensible aux variations du temps et surtout aux attaques de la maladie. Sauf que l’argent rendant fou, les oligarques ne veulent pas mourir, et dans la veine des fondateurs de Google qui investissent des milliards tous les ans pour inventer l’homme bionique (Steve Austin va avoir de la concurrence), ils tentent de repousser l’inéluctable.
Le héros de Don DeLillo voit son père, milliardaire de la finance, sombrer dans la folie quand il apprend que sa seconde épouse est atteinte d’une sclérose en plaques. Il finance une secte d’utopistes qui a construit son laboratoire dans le sous-sol du désert du Turkmenistan et réussit à convaincre sa chère moitié de se faire cryogéniser, histoire d’attendre le médicament miracle.

C’est le fils qui nous raconte ce pari fou, ellipse de l’auteur pour se décaler du projet initial et en narrer toute l’absurdité sous le regard d’un candide qui n’aspire ni à l’héritage ni à l’éternité. Ayant déjà du mal à trouver sa place, l’exil dans une mort programmée pour surprendre la mort attendue n’a pas l’heur de vouloir lui faire admettre que la vie pourrait être sans fin. Car il est aussi agréable de savoir que l'échéance arrive, rendant ainsi plus précis, exaltant, ce présent parfois dénigré pour un projet d’avenir. Au-delà des mirages et des châteaux en Espagne, DeLillo dépeint le fantasme de certains qui pensent que leur est dû une prolongation.

Scène qui s’enchaînent, déplacement des angles de vue et digressions philosophiques sur l’idée d’un sens dénaturé à la vie si elle y perdait le concept de finitude, Don DeLillo rythme son récit en fonction de l’évolution des étapes du processus de cryogénie en contractant l’architecture narrative pour mieux tenir son lecteur… et relance le débat sur l’immortalité.

François Xavier

Don DeLillo, Zéro K, traduit de l’anglais (États-Unis) par Francis Kerline, Babel, septembre 2019, 300 p. – 8,70 €

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