Griselidis Réal et ses visitations

L’histoire de l’art suisse et international restera redevable à Jehane Zouyene en un superbe travail. Celui de la mise en exergue de l’œuvre plastique de Grisélidis Réal. C’est sans doute l’aspect le plus méconnu de celle qui ne put se livrer à son art que lors d’épisodes imprévus (la prison) et à quelques moments dits  perdus  mais qui ne le furent pas que pour l’art.
La péripatéticienne fit du stylo à bille l’outil majeur de ses œuvres. Elle pensa pouvoir vivre de son art en développant dans son œuvre le goût pour les montres et les thèmes récurrents à son engagement : l’éros. Il devient chez elle aussi ornemental que fantastique.
L’artiste reste encore effacée sous l’activiste meneuse de la Révolution des prostituées à Paris avant d’importer son combat à Genève. Revendiquant le rôle social de la prostitution en tant qu’aide à la misère humaine, elle considéra son activité comme un Art, un Humanisme et une Science selon une éthique qu’elle résuma ainsi : Que vaut-il mieux prostituer : son cul ou son âme? Le cul, bien entendu. C'est plus pénible physiquement, mais c'est plus propre
Celle qui est enterrée au cimetière des Rois à Genève avec comme épitaphe Ecrivain, peintre, prostituée  prend grâce à Jehane Zouyene une nouvelle dimension. Le corps dans l’œuvre plastique est magnifié de manière parfois mystique et fort éloigné de toute idée de faute ou de péché. Si la vie n’est souvent pour un créateur que le reste le plus perdu de son écriture et de son art, ce ne fut pas le cas pour Grisélidis Réal. Dans son œuvre de plasticienne elle consomme les extases d'un éternel retour. Et rien ne définit mieux ce travail plastique que le mot Visitation d’un corps qui retrouve une majesté dolente et royale à la fois. 
Le livre devient une suite d’autoportraits dans une paradoxale opération d’amour  qui porte jusqu’à la transparence l’expression d’une mémoire à travers le bouquet des formes et des couleurs. La femme y prend la place de Dieu. Elle sert d’appel non sans humour à la tendresse afin de tempérer les convulsions de la vie en l’approche de l'unité qui associe la Femme au cosmos au sein d’une mélancolie chargée d'émotions archaïques de toute une histoire de l’art (en particulier germanique) ferment d'une douleur et d’une rêverie inépuisables. 

Jean-Paul Gavard-Perret

Jehane Zouyene, Grisélidis Réal, peintre. Catalogue raisonné, HumuS, 2023, 160 p.-, 30€

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