Redécouvrir Proweller

Dans ce livre Elisabeth Brami, fille du peintre, permet une approche majeure de son travail.
Né en 1918 à Lwow, en Pologne, Proweller est arrivé à Paris juste après guerre. Avant cette dernière il participa à plusieurs expositions de groupes et à divers salons dans son pays qu'il quitta après la Shoah. Cet événement impensable lui fit déchirer son diplôme d'architecte. Ses parents partis en fumée comme il l’écrivit, armé d'une reproduction de Cézanne qu'il garda pendant toute la guerre dans sa poche avec ses faux papiers, il arriva à la gare de l’Est en mars 1948.
Peintre sans doute trop en avance sur son temps, il comprit que la peinture ne doit être ni de propagande, ni conceptuelle. Un seul tableau rappelle les moments terribles de son existence. Ce tableau intitulé Le Pendu ou Souvenir de l'occupant  est le seul qui retrace  directement l’horreur. Proweller savait en effet que l'artiste s'oppose au monde tel qu'il est,  uniquement de façon indirecte, par l'élaboration d'une nouvelle forme d'expression de la réalité en offrant une nouvelle modalité de perception.
Précurseur de la Nouvelle Figuration avant l'heure, il  fut reconnu  par quelques esthètes mais il  n'obtint jamais de son vivant la reconnaissance qu’il méritait. Heureusement désormais le temps répare les erreurs d’appréciations et de myopie. Il corrige les fausses perspectives. Plus que tout autre, Jean Blot – comme le rappelle l'auteure –  a su résumer l’importance du peintre : Proweller est un Florentin de notre temps. Il construit un espace aussi bouleversant et aussi nécessaire que celui d’Uccello. Il est fou de cette puissance que Berenson nommait les valeurs tactiles et qui fait qu'un corps, un geste, un visage, transmettent à nos muscles et à nos nerfs leur vitalité. Fou aussi de ces cadrages violents qui, comme chez les grands Florentins encore, clouent le regard à la masse démesurée qu'on lui présente. 
Elisabeth Brami rappelle que l’artiste a toujours prouvé que la peinture est loin d’avoir dit son dernier "mot" en dépit de ceux qui ne cessent d’annoncer sa fin. Plus ils la rejettent plus elle refait surface – à tous les sens du terme. Car la surface reste son domaine. Ceux qui croient s'en abstraire ne font que se moquer du monde. Et en parlant de l’artiste comme de la peinture en général il faut toujours se souvenir de la phrase de Bram van Velde (qui mourut le même jour que Proweller !)  
Ce que j'aime dans la peinture c'est que c'est plat. 
Proweller a toujours affirmé que  l'acte de peindre ne consiste pas à s'exprimer, mais à comparer sa subjectivité à un élément objectif et valable : le sujet. Lors de ses premiers vernissages parisiens ( en 1949 à la Galerie Denise René  et à partir de 1951 chez Colette Allendy) , ce sujet était abstrait à savoir de l'ordre du signe : ronds et carrés, formes géométriques pures. Pourtant très vite le sentiment légitime  d'avoir le droit de raconter une histoire  le ramena à une figuration simplifiée sans que la chair des victimes de la guerre n’en surgisse. En optant pour la vie, cette  reconstruction laissait pressentir une forme de nouvelle vision bien avant l'émergence de la néo-figuration et d’un postmodernisme dont le créateur est désormais considéré comme un précurseur. 
Tout paraît simple et évident dans l’œuvre. Mais de fait cette ascèse heureuse reste le fruit de l’engagement vital d’un rescapé. Il ne cessa, hors coteries,  de prendre des risques, de se retrouver parfois dans une solitude qu’il ne cherchait pas. Ce fut le prix à payer pour une démarche libre et anticonformisme. Celle d’un peintre qui voulut croire en l’espérance en dépit d’un sentiment tragique de la vie. Proweller  suivit toujours ses exigences intérieures afin de comprendre les rapports que l’art ne cesse de tricoter avec le monde.

Jean-Paul Gavard-Perret

Elisabeth Brami, Emanuel Proweller, La couleur des saisons, Courtes et Longues, octobre 2018, 69 p.-, 19,50 €

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