Bric-à-brac sublime à Martigny

Qui a dit qu’il faille obligatoirement un fil conducteur pour collectionner, voire exposer ? La passion, qu’elle soit amoureuse ou matérielle, imprime des actes hors du commun. Il en fut ainsi pour Wilhem Hansen qui s’embrasa lors d’un voyage à Paris pour les peintres français.
Ce danois qui dirigeait une compagnie d’assurance et vivait dans le respect des normes conventionnelles protestantes s’offrit son instant de folie : un très long moment qui dura deux ans, de 1916 à 1918, durant lequel il acheta des dizaines de toiles de maîtres : Degas, Gauguin, Sisley, Pissaro, Monet, Renoir, Manet, Cézanne, Corot, Courbet, Ingres, Delacroix…

Ce qui aurait pu passer pour un coup de sang devint l’œuvre d’une vie, au point que sa femme s’empara comme lui de ce dessein hallucinant, et que le couple s’affaira toute sa vie à tenter de conserver l’immense collection malgré les affres des variations économiques qui les poussèrent à devoir vendre une partie des tableaux. Mais les plus beaux furent conservés, si bien que désormais ils forment l’un des plus bel ensemble en Europe, abrité au sein du musée Ordrupgaard, à Copenhague. Lieu d’apprentissage qui accueille la majorité des écoliers du pays qui, un jour l’autre, passent immanquablement devant ces chefs-d’œuvre et découvrent, ébahis, ces noms qui, désormais, représenteront dans leur mémoire les étalons de la peinture…

Sont exposées à Martigny, jusqu’au 16 juin 2019 (tous les jours de 10 à 18h), une soixantaine d’œuvres qui, prises une à une – et non dans un ensemble qui ne se peut vu les époques et les peintres réunis – matérialisent l’excellence de l’art en l’extrême beauté qu’elles portent en elles…
On laissera aux commissaires de l’exposition la responsabilité de l’originalité de l’accrochage, nous offrant un grand écart du réalisme de Courbet au post-impressionnisme de Gauguin, là n’est pas l’essentiel : s’il y a une raison et une seule pour vous rendre à Martigny, au-delà de l’aspect inédit puisque ces pièces sortent rarement de leur écrin danois, c’est surtout pour vous nourrir de cette beauté intrinsèque que l’authentique chef-d’œuvre décline en de multiples facettes au regardeur, lui transmettant émotion et plaisir, réflexion et apaisement. Le Pavé de Chailly, de Monet (1865) est un appel spirituel à la nature et y être confronté soulève des vagues de compassion pour cette forêt, ces arbres plus généralement si souvent malmenés par l’Homme que les voir ainsi, paisibles et accueillants, rappelle combien il est doux de s’assoir dans l’herbe pour y déjeuner ; n’est-ce pas monsieur Manet ?

 

Il en est de même pour Corot qui inspire des élans de nostalgie dès lors que l’on se retrouve face au Moulin à vent (1840) qui suggère Alphonse Daudet avec son large chemin de terre et ses nuages glissant vers des horizons insoupçonnés… Sisley et Pissarro, respectivement avec L’inondation et le Coin de jardin à Eragny ne sont pas en reste, coloristes extraordinaires, pointillant la toile de milliers de touches pour créer cette énergie qui traverse le tableau et nous fait entendre cette musique si particulière du vent dans les branches, du crissement des pas sur le gravier…
Quelques portraits, des natures mortes et huit trésors : les Gauguin, dont une pièce formidablement décalée, cette Petite[qui] rêve (1881) dans un halo de romantisme et d’harmonie silencieuse, un instantané d’une vie de famille si improbable chez le volcan Gauguin qui envoya tout promener au nom de son art, femme, enfant, travail… Un tableau improbable, un témoignage de l’homme d’avant Pont-Aven, avant Tahiti et la folie créatrice qui l’emporta et nous laissa les plus belles toiles de l’histoire de l’art.

En parallèle, en sus du musée de l’automobile sis au sous-sol du bunker qui cache aussi ses trésors de l’histoire des bolides à quatre roues, il y a au pavillon Szafran l’exposition sur Nadar, Portraits photographiques qui nous offre une belle collection de personnalités artistiques qui ont compté à partir du milieu du XIXe siècle : Baudelaire, Delacroix, Courbet, Manet, Zola, Debussy et beaucoup d’autres qui ont posé pour le célèbre photographe.
Autant de raisons de faire une halte en Valais lors de vos prochains déplacements…

François Xavier

Anne-Brigitte Fonsmark (sous la direction de), Trésors impressionnistes – La collection Ordrupgaard, Fondation Pierre Gianadda, février 2019, 200 p. – 29 €

 

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