Nouveaux mots d'excuse : Les parents écrivent encore aux enseignants

Le Rire du surgé

 

Patrice Romain, ancien conseiller d’éducation, publie de Nouveaux mots d’excuse écrits par des parents d’élèves. Perseverare diabolicum.

 

1. Petite histoire véritable (même si les noms ont été changés) 


Mon camarade Colas n’a jamais porté le cheveu bien long, mais, quand je le retrouve il y a une quinzaine de jours pour prendre un café, il n’a pas le cheveu court — il a le cheveu ras. Je lui demande l’origine de cette radicalisation ; il m’explique que c’est le meilleur moyen qu’il ait trouvé pour se débarrasser des poux que son fils Guillaume a récoltés à l’école et lui a généreusement transmis. Le raisonnement est inattaquable, mais je suis malgré tout très étonné, puisque le jeune Guillaume est là, pétillant de malice, avec une chevelure abondante et bouclée capable de faire pâlir de jalousie tous les pâtres grecs. « Nous ne lui avons pas rasé la tête, m’explique Colas, parce qu’il a un angiome, et il n’a vraiment pas besoin en ce moment d’être exposé aux remarques de ses copains. » Stratégie anti-poux plus élaborée pour le fiston, donc : peigne fin et shampoings de pharmacie.

 

2. Délit de récidive


J’ai déjà dit ailleurs, sur un site aujourd’hui disparu, tout le mal que je pensais de Monsieur Patrice Romain et je pensais m’arrêter là. Mais cette rencontre avec Colas et son fils me semble avoir été combinée par celui que Labro appellerait, après Einstein, « le flûtiste invisible » (autrement dit le Destin) pour que je redise du mal de Monsieur Romain. Celui-ci, en effet, avait publié il y a trois ans un ouvrage particulièrement odieux, best of de mots d’excuse adressés par des parents d’élèves au conseiller d’éducation qu’il était avant de prendre, Dieu merci, sa retraite. C’était censé être drôle. C’était en fait sinistre : à côté de quelques lettres un peu farfelues, certes, les seuls aspects comiques de ces proses étaient à trouver dans leur orthographe et dans leur syntaxe déficientes, mais ces faiblesses, à vrai dire, ne faisaient que souligner l’immense détresse qui s’y exprimait. Or voici qu’un second volume, Nouveaux mots d’excuse : les parents écrivent encore aux enseignants, est sorti il y a quelques semaines, ejusdem farinae. J’avais feuilleté la chose dans une librairie deux jours avant de rencontrer mon camarade et —  c’est là qu’intervient le flûtiste — sur quoi étais-je tombé ? Sur un mot de parents demandant à l’administration d’intervenir pour que la tache de vin que leur fils avait sur le visage ne soit pas raillée et redéfinie à longueur de journée par ses camarades sous la forme « tache de merde ». Un titre crépitant, du genre « Bien envoyé », précédait ce billet pour en annoncer la nature hilarante. Un peu plus loin, on pouvait continuer à se tenir les côtes en découvrant un autre « mot » dans lequel un père assurait qu’il n’était pas responsable du coquard de son fils, puisque cette fois-ci il n’avait pas bu, et que son fils s’était blessé tout seul en se heurtant contre une fenêtre. Faut-il expliquer, vraiment, l’enfer qui se dessine derrière de tels billets ?

 

3. Le lieu et la formule 


Mon camarade Colas me dit, quand je lui fais part de cette édifiante lecture, qu’il faut être réaliste et qu’il n’y a aucune raison pour qu’il n’y ait pas dans l’enseignement la même proportion d’imbéciles, de sadiques, de sans-cœur que dans les autres métiers. Il ajoute que, s’il y a des saintes parmi les infirmières, il y a aussi des tortionnaires. Je ne puis partager sa philosophie. Certes, d’un point de vue statistique, Colas a raison, mais il est des métiers où il vaudrait mieux que certaines « catégories sociales » soient sous-représentées. Il me plaît de penser — suis-je naïf ? — qu’il y a proportionnellement moins d’ivrognes parmi les pilotes de ligne ou parmi les chirurgiens que dans le reste de la population. L’enseignement étant l’institution qui a pour mission de favoriser l’épanouissement des individus, c’est dans les écoles qu’on devrait trouver le moins le culte du mépris de l’Autre. Bien sûr, je n’étais pas là pour voir comment Monsieur Romain pratiquait son métier sur le terrain, mais ses recueils si funny m’incitent à penser que c’était un adepte de la double peine. Loin d’aider les défavorisés à sortir de leur ornière, la manière dont il les offre en spectacle — et peu importe s’il respecte leur anonymat, puisque nous parlons en l’occurrence d’un état d’esprit — contribue à les enfoncer (la mécanique qui se dessine ici n’est autre que celle que l’on trouvait dans le sketch de Coluche sur l’Arabe qui avait perdu ses papiers d’identité). Dès lors, qu’on ne s’étonne pas si, de temps à autre, certains élèves ou parents d’élèves viennent faire le coup de poing avec des membres de l’enseignement. Sans doute se trompent-ils souvent de cible et recourent-ils de toute façon à une méthode condamnable, mais c’est leur manière de dire — quand, comme le montrent ces « mots d’excuse », ils ont précisément tant de mal à s’exprimer — que l’École les a trahis.

Ne parlons pas de l’éditeur qui juge bon de publier de telles insanités. Ce n’est même pas un marchand de livres, puisqu’il convient de réserver le terme livre à de moins vils objets. Mais il confirme le jugement de Camus suivant lequel la France est un pays où l’on a une fâcheuse tendance à confondre intelligence et méchanceté.


FAL


Patrice Romain, Nouveaux mots d'excuse : Les parents écrivent encore aux enseignants, François Bourin Éditeur, mars 2013, 15,00 €

 

 

 

1 commentaire

anonymous

Un éditeur qui porte bien son nom ?