Le prix Goncourt est attribué à... Écrit sur de l’eau, en 1908

Prix Goncourt… 1908, un siècle et des bananes... Mais le plus pertinent c’est que, déjà, à l’époque – tout comme maintenant, comme quoi pour que tout change il faut que RIEN ne change – déjà, donc, en 1908, hé bien oui, jamais on se serait attendu à ce que ce livre-là, et cet auteur à peine âgé de vingt-huit ans, soient consacrés. Car, l’argument – comme la trame du livre – sont d’une infinie légèreté. Et comme Milan Kundera n’avait pas encore sévi, ce pied de nez – voire ce coup de pied de l’âne – qu’avait osé administrer Francis de Miomandre avait de quoi en surprendre plus d’un…

 

Deuxième roman de ce jeune homme et déjà une maîtrise affirmée et une audace sans limite : frivolité et inconsistance seront les deux mamelles de cet opus-là, qu’on se le dise ! Une habile manœuvre pour traiter d’un sujet douloureux à la manière désinvolte. Parler de l’amour et de la jeunesse qui file comme poignée de sable… André Gide, d’ailleurs, fut touché par tant de grâce portée dans la construction du roman qui semble se dérober à la critique.

 

De quoi s’agit-il ? De suivre Jacques de Meillan, avatar de Miomandre, qui aborde sa dix-neuvième année dans le questionnement séquentiel et récurrent : qu’est-ce donc que l’amour ? Une ritournelle qui l’accompagne dans ses déambulations marseillaises…

 

Une porte ouverte à se laisser digresser et offrir à son héros tous les possibles : s’épancher sur son sort, se mettre dans des situations inextricables, oser des sarcasmes… et se mettre le lecteur dans la poche :

"Je t’assure, pour peu que tu aies aimé les femmes, la mer, les couchers de soleil, la littérature symbolique, les relations au hasard et les petits animaux familiers (…) tu te retrouveras dans le héros de ce livre."

 

Carte blanche : aussi bien au héros qu’à l’auteur, un permis de création en quelque sorte. On rit, on s’amuse, on critique… Mais une seconde lecture démontre quelques pics lancés aux proches, notamment au père de l’auteur, pathétique homme d’affaires et coureur invétéré dont l’absence marqua la jeunesse de notre romancier… au point d’en faire un naufragé qui montra à Paris se vautrer dans le stupre, à la fois dandy et gigolo quand il n’écrit pas au petit matin après une nuit particulièrement mouvementée. Il fréquente beaucoup, publie un peu, et n’arrive pas à placer son manuscrit si bien qu’il sera édité à 500 exemplaires… à Marseille, aux Éditions du Feu, dirigée par un ami d’enfance.

 

À l’heur de cette rentrée littéraire toute engoncée dans ses habitudes et portée une fois encore par l’empire industriel, il convient de délaisser les habituels tête de gondole pour goûter à une petite sucrerie douce amère. Et si Francis de Miomandre, l’ami de Gide, de Valéry, de Colette, a disparu des écrans il convient de redonner de l’éclat à son œuvre désuète et irrégulière mais aussi charmante et délicate, pétillante de mille éclats de mica, à croire qu’elle fut écrite sur de l’eau…

 

François Xavier

 

Francis de Miomandre, Écrit sur de l’eau, Éditions de la Différence, septembre 2013, 190 p. – 8,00 euros

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