La fin des haricots, et autres mystères des expressions française

QUE VIVA LEXICO !Il y a quarante ans, un livre intitulé la Fin des haricots aurait eu d’autorité sa place dans la Série noire, mais il faut être honnête et donner le titre complet, qui dissipe tout malentendu : la Fin des haricots et autres mystères des expressions françaises    Un mystère toutefois ne sera jamais dissipé : comment l’auteur, Madame Colette Guillemard, peut-elle avoir si souvent recours à l’étymologie quand ses connaissances de la langue latine sont aussi approximatives ? Ici,crepida est traduit par « savate » (alors que le vrai sens est « sandale ») ; là, l’adverbe magis est défini comme étant le comparatif de l’adjectif magnus ; là encore, on a l’air d’ignorer que l’italien mezzo et le français moyen dérivent de la même racine latine. Certes, la majorité des chapitres qui composent l’ouvrage sont à l’origine des articles parus dans le Figaro, journal où l’on croit que la conjonction de coordination car peut être reprise par que et où l’on ne craint pas de faire une manchette, ou presque, sur la frustration de Brando de n’avoir jamais pu tourner avec Chaplin (ces braves gens n’ont-ils donc jamais entendu parler de la Comtesse de Hong Kong ?), mais est-ce une excuse ?    Ces quelques méchancetés une fois dites, il convient de reconnaître que la lecture de ces deux cent soixante-dix pages n’est pas désagréable du tout, qu’on commence par les feuilleter négligemment, mais qu’on se surprend assez vite à toutes les lire, pour une raison très simple : contrairement à beaucoup d’assommants érudits qui s’appliquent, dans des grimoires de la même farine, à expliquer des expressions qu’on n’a jamais entendues, Colette Guillemard se penche, elle, sur des expressions que nous croisons constamment, et, lorsque ce n’est pas tout à fait le cas (qui dit aujourd’hui « envoyer aux pelotes » ?), elle est la première à signaler que la monnaie n’est plus courante et que telle chose qui se disait il y a un siècle ne se dit plus guère aujourd’hui.    D’une certaine manière donc, un travail lexicographique comme celui-ci rejoint l’essence de la littérature telle qu’elle est définie par Proust : il nous fait découvrir des éléments que nous portons en nous et que nous croyons connaître, mais que nous connaissons souvent mal, dans la mesure où nous voulons souvent — grand vice français… — voir du figuré et de l’abstrait là où il n’y a qu’une description parfaitement objective des choses. L’expressiondorer la pilule est devenue une métaphore, mais sait-on qu’il y a eu, à une certaine époque de la médecine, des pilules vraiment couvertes d’or ? Quand nous entendons jeter de la poudre aux yeux, nous voulons tout de suite que cette poudre jaillisse des mains gantées de quelque magicien. Or elle n’est en fait que la poussière que, dans une course à pied, le coureur qui est en tête envoie, sans d’ailleurs le vouloir, dans les yeux du coureur qui arrive derrière lui.     Toutes les explications ne sont évidemment pas gravées dans le marbre, et souvent plusieurs hypothèses sont possibles pour éclairer telle ou telle formule. Il n’est pas sûr, par exemple, qu’on noie le poisson quand on noie le poisson. Il est plus probable qu’on le dissimule, parce qu’il n’est pas très bon, dans une sauce. Quant à l’expression tirer au flanc, elle ne signifie pas qu’un soldat ne se fatigue pas à viser précisément la cible qu’il est censé atteindre, mais qu’il essaie, sur le champ de bataille, de se rabattre (de « tirer ») vers l’un des flancs de sa propre armée, où les affrontements seront normalement moins rudes que s’il reste au centre.    Il est enfin quelques cas où l’auteur n’est pas loin de déclarer forfait : « rester comme deux ronds de flan » donne lieu à plusieurs hypothèses aussi peu convaincantes l’une que l’autre, et l'énigme demeure entière.    Mais c’est tout aussi bien : ces lacunes avouées nous rappellent cette évidence toujours très mal admise, qui est que nous ne connaissons et ne connaîtrons jamais vraiment une langue, si maternelle soit-elle. Honte aux présomptueux qui prétendre être bilingues : il n’y a même pas sur cette terre un seul monolingue compétent.FAL  

Colette Guillemard, La Fin des haricots, Bartillat, "omnia", novembre 2009, 12 euros
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