Paris à fleur de pierre... éternellement

S’ouvrant en double page sur les bustes dénudés de La fontaine des quatre parties du monde, cet album intemporel à la sensualité à fleur de peau vous fera découvrir la beauté cachées dans les détails de sculptures cent fois regardées mais jamais vues comme elles le méritent, comme l’exige l’extraordinaire finesse de leur réalisation. Vous aurez le choc du réalisme, le vaporeux poétique de la suggestion, l’incroyable rendu de la pression des corps... et toute cette magie vous fera oublier que vous contemplez quelque objet en pierre ou en fonte, pourtant l'air si léger, si plein de vie, de douceur, de chaleur…

 

Un livre de photographies donne à voir, impose un postulat de départ et le lecteur adhère à la démarche et suit les pas de l’artiste. En général, car ici vous serez surpris de ne pas partir à la découverte de secrets mais bien de (re)voir, c’est-à-dire de voir autrement, ces monuments devant lesquels vous êtes passés cent fois sans même les voir, pensant, justement, les connaître, alors que, paradoxalement, vous en êtes à des années lumières !
Car cela ne se voit pas au premier abord, il vous faut l’aide d’un artiste, celui qui regarde ailleurs, qui voit autrement, qui prête attention à ce que vous ne penseriez pas à regarder… D’ailleurs, ce livre n’est pas un livre de plus sur le Paris monumental et connu, mais un livre d’à-côté, celui qu’a fait le photographe en se décalant, en inversant la perspective.
Ce qui, dans des photographies plus habituelles, fait officie de premier plan pour donner de la profondeur au champ de vision devient, nous précise Marc Augé, la cible prioritaire du regard.



En contemplant ces images, vous entrerez dans une démarche qui consiste à sculpter avec les yeux, enfin réveillés d’attention par cette beauté féminine, ces corps splendides entièrement dévoilés. Trop pressés les Parisiens pour prendre le temps de flâner ? Ou faux pudibonds ? Il faut savoir éteindre son portable et lever la tête : en lieu et place de votre écran Rétina vous offrirez aussi un peu de vagabondage à votre esprit.

 

Trois catégories de sculptures s’offrent à vous : les musculeuses (d’essence masculine pour la plupart) juchées sur d’imposants socles mais parfois détournées par l’œil coquin de Sander qui s’amuse à les coiffer du pic de la tour Eiffel (Trocadéro) ; les hiératiques, figées dans un garde-à-vous troublant ; les extatiques (d’essence féminine) en position inconfortable, corps renversé, bouche ouverte, poitrine bombée d’insolente fraîcheur.

Sander est un subtil tentateur qui aime troubler son public et son savoir-faire lui permet de lui révéler cette étonnante proximité des matières qui donne l’impression que l’on ressent littéralement le frémissement de la peau, la force d’une prise sous le grain de la pierre, comme si ces sculptures allaient soudain s’animer. Oubliée la froideur du matériau et la majesté du dessein initial, ici ce n’est que suggestion douce, tiède empathie aux fleurs du mal dont la beauté révélée n’est pas totalement baudelairienne : cette photographie-là est au service de l’art qui, lui seul, permet de déplacer les lignes et d’affronter, pour la mettre à l’épreuve, cette apparente impassibilité du rêve de pierre.

 

C’est en jouant de l’angle de prise de vue, en se focalisant sur telle partie du corps, œuvrant comme une loupe, que Sander met en lumière la sensualité physique de la pierre sous la courbe d’une hanche, le galbe d’un sein, la fermeté d’une fesse. Le photographe fait derechef  acte de sculpteur en célébrant le culte du corps humain.
Nous le suivons pas à pas dans ce Paris nostalgique de beauté et d’ombre, priant pour que les urbanistes ne détruisent pas tout un jour l’autre. D’ici-là, rien n’interdit de s’oublier dans la contemplation de ces photographies jouissives et sensuelles pour dire adieu aux divinités, à nos héros et aux allégories tant décriés aujourd’hui dans cette ère numérique qui renie nom et forme de nos désirs pour mieux virtualiser notre avenir et contrôler nos émotions.
Dire non c’est aussi se porter vers cet ouvrage plutôt que le dernier jeu vidéo à la mode…

 

Construit en deux parties distinctes – le texte poétique de Marc Augé puis les exceptionnels clichés d’Éric Sander – ce beau livre hantera vos rêves et vos prochaines promenades parisiennes, de la plus romantique des manières possibles. Preuve que la beauté dans l’art est sans limite, joie des yeux, émotion du ventre : on aimerait pouvoir toucher ces statues, lentement, infiniment… éternellement.

 

François Xavier

 

Marc Augé (texte) & Éric Sander (photographies), Paris à fleur de pierre, 245 x 270, 75 photographies noir & blanc et deux tons, Imprimerie nationale, avril 2014, 120 p. – 39,00 €

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