Nevermore : Cécile Wajsbrot au cœur de la vie intérieure

Cécile Wajsbrot développe depuis 1993 une œuvre singulière, une approche ontologique de l’Être plongé dans un monde manifestement pas à la bonne taille ; aussi ouvrir son dernier roman est toujours une émotion car l’on ne sait pas vers où la tornade va nous emporter, mais on est certain que le voyage sera exceptionnel. Beaux jours rimant avec soleil dans cette belle région méditerranéenne, je sors donc le hamac que j’étends entre les portants qui rappellent une sculpture de Bernar Venet – dont la fondation est à un jet de pierre – et je m’immerge.  
Un prélude et des interludes vont m’hypnotiser dans un léger sfumato qui détaille la rotation des mots dans le concours de la traduction. Traduire qui n’est pas trahir – quoique certains s’en donnent à cœur joie – mais plutôt reconstruire, déshabiller pour recomposer dans la nouvelle musique d’une syntaxe différente. Comment traduire Virginia Wolf ? Pour mieux parler de la dévastation du temps, la narratrice ira à Dresde, ville dévastée par la guerre, pour s’imprégner de l’énergie de la reconstruction, des parallèles entre langue anglaise et allemande, afin de pouvoir hisser la passerelle vers le français…

Les idées extérieures s’invitent, la rigueur du climat, la proximité de Tchernobyl, la contraction du temps, l’évacuation de l’île de Hirta en 1930, le kaléidoscope glisse dans la lenteur du temps capturé… en oubliant qu’il n’est pas concevable de le hiérarchiser. Il faut aller là où personne n’est encore allé, donc à défaut de partir sur Mars, puisque la Terre est conquise, se seront les Lettres qui serviront de terra incognita puisque tout est recommencement. La littérature – donc le monde – est à explorer : J’aurais aimé pouvoir écrire et aller au hasard de chemins non balisés, puis travailler, retravailler pour les transformer en paysage. N’est-ce pas ce que nous faisons tous sans le savoir en fermant les yeux, réinventant dans notre subconscient un monde onirique qui peuple nos nuits ?  

Ce sera donc par la transcription que Cécile Wajsbrot – ou son héroïne – établira une passerelle pour transcrire autrement les mots d’autrui, restituer un texte écrit dans une autre langue, au plus juste, dans la précision musicale adaptée… À Dresde la mission est d’importance, c’est là-bas que la narratrice découvrira aussi que transcrire et retranscrire s’opère également dans sa propre langue, donc dans sa propre vie, les options sont toujours multiples, sauvages, poétiques ; chaque acte de la vie est une direction choisie au carrefour des possibles, il faut être attentif, à l’écoute, ouvert au monde pour ne pas trébucher sur la mauvaise pente ; tout un programme.
Qui a dit que la vie est un long fleuve tranquille ? 

 

François Xavier
 

Cécile Wajsbrot, Nevermore, Le Bruit du temps, février 2021, 224 p.-, 19 € 

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