Peplum Pudding - "Britannia", le nouvel Alix

Britannia, la nouvelle aventure d’Alix, nous fait traverser la Manche dans le sillage de César. Celui-ci ne réussit pas à conquérir la Bretagne, mais son fidèle partisan aux boucles blondes acquiert à l’occasion de cette expédition une indépendance inattendue.


Le livre IV de la Guerre des Gaules ne se situe pas en Gaule. Il est vrai que ce n’est qu’une parenthèse, dont César se serait volontiers passé. En 55 av. J.-C., il entreprend de débarquer en Bretagne (c’est-à-dire en Grande-Bretagne), mais cette expédition va être son Vietnam et il repliera très vite bagages. Parce que les conditions météorologiques sont contre lui ; parce qu’il perd dans une tempête de nombreux bateaux ; mais aussi et surtout parce que les soldats romains sont souvent désemparés face aux méthodes inattendues de ces nouveaux ennemis qu’ils affrontent. Les Bretons ont, par exemple, un avantage décisif dans les batailles parce qu’ils savent diriger leurs chars sur des pentes. La déclivité ne les empêche pas de faire rapidement demi-tour. Et les Romains n’ont pas cette maestria.


Mais il y a peut-être, pour expliquer l’échec des Romains, un élément que César n’avait pas mentionné, et qui se nomme Alix. Qu’on se rassure, dans cette nouvelle aventure, intitulée sobrement Britannia, Alix est aussi fidèle à César qu’il l’a toujours été (le traître est à chercher ailleurs), mais, comme il appartient à ce que le scénariste-dessinateur Marc Jailloux appelle « l’Antiquité rêvée », il est déjà, sans le savoir, anti-colonialiste, prêche le respect des indigènes et, tout en essayant de s’acquitter comme il convient des missions que lui confie César, garde constamment une certaine humanité à l’égard de ses adversaires. Et donc, encore une fois, sans rien perdre de sa loyauté, objectivement il s’émancipe. Tout comme la Bretagne, Alix refuse de tomber sous le joug du conquérant des Gaules et finit par dénoncer discrètement, mais sûrement, la part de propagande qui entre en jeu dans la stratégie de celui-ci. Il y a donc, pour dire les choses simplement, deux parties dans Britannia. La première, assez complexe, rend compte des difficultés des Romains à comprendre le jeu des différents peuples bretons, avec leurs alliances et leurs hostilités internes. La seconde, sans se défaire du ciment de l’Histoire, présente celle-ci sous un autre regard — celui d’un garçon en train de devenir un homme.

 

Lorsque, il y a deux ans, est sorti la Dernière conquête, vous disiez votre intention d’envoyer Alix aux Jeux Olympiques pour sa prochaine aventure. Or le voici en (Grande-)Bretagne…

J’étais effectivement en train d’étudier une transposition possible à l’époque d’Alix d’un scénario que j’avais initialement conçu pour Orion. Mais je me suis assez vite rendu compte que ce qui était pertinent pour Orion — à un ou deux ans près, c’était la période où Phidias terminait sa statue de Zeus olympique, et c’était une période où les Jeux Olympiques avaient encore un sens politique — ne l’était plus pour Alix.

C’est un voyage en Écosse qui m’a donné l’envie d’envoyer Alix en Bretagne, même si, au Ier siècle avant J.-C., les Romains n’étaient pas « montés » très haut. Britannia est un synopsis que j’ai conçu, développé et proposé au comité Martin et qui a connu différentes versions. On voulait que j’insiste sur tel aspect ; on réclamait plus de druides… Je sentais que je m’usais un peu sur ce projet, mais je déjeunais souvent avec Mathieu Breda (que je connaissais parce que nous avions travaillé ensemble dans la même société) et lui faisais part des différentes phases de mon scénario. Comme, de son côté, il me proposait des idées et que j’aime bien rendre à César ce qui est à César, il a fini par être intégré officiellement sur le projet. Il s’est occupé du découpage. Moi, j’avais, disons, le droit de regard du chef d’orchestre. Je faisais des remarques quand j’estimais que certains éléments n’allaient pas dans la direction que je crois devoir être celle de la série. Même chose pour les couleurs.


Votre nom n’apparaît pas sur la page 4 de la couverture. Tous les albums sont attribués à Jacques Martin, y compris les vôtres…

J’étais il y a quelques jours dans un festival pour une séance de dédicaces et, malgré la présence non loin de moi de grands messieurs de la bande dessinée, j’ai vu venir vers moi un monde fou ; je n’aurais d’ailleurs pas pu, matériellement, dédicacer plus d’albums… Je n’oublie pas que ces gens qui viennent me voir ont d’abord dans l’esprit la référence Jacques Martin. Et donc, je dois tellement à Jacques Martin que le fait que mon nom n’apparaisse pas sur la quatrième de couv’ me laisse indifférent. Évidemment, je serais fâché s’il n’apparaissait pas dans l’album, et peut-être conviendrait-il de définir une formule officielle, du type « D’après les personnages de Jacques Martin » ? Cela mérite discussion. Ce qui m’a un peu contrarié quand j’ai sorti mon Orion, ce sont les déclarations de journalistes selon lesquels les Oracles étaient « le dernier grand scénario de Jacques Martin » ! Sans doute cette erreur était-elle due au fait que nos deux noms étaient inscrits côte à côte, sans aucune mention précisant que j'avais réalisé et le dessin et l'intégralité du scénario.


On saluera l’audace du scénario de Britannia, puisque Alix se trouve au cœur d’une expédition qui reste comme le plus grand échec militaire de César, mais la confusion des opérations vous a parfois amené, semble-t-il, à développer les textes explicatifs au détriment des dessins…

Je m’efforce de faire ce que faisait Jacques Martin : je raconte une histoire. Mais votre remarque m’étonne parce que j’ai eu, pour Britannia, le sentiment de disposer de plus de place pour les dessins et de pouvoir faire des choses plus variées. Pour la Dernière conquête, j’avais dû, par manque de place, multiplier les avant-plans et les amorces pour donner une impression de profondeur de champ. Ici, nous avons fréquemment procédé à un « rééquilibrage » des pages quand nous sentions qu’elles étaient saturées de texte. Je vous accorde que la mise en place de l’époque a nécessité un certain nombre de dialogues, mais cela est dans l’esprit de la série. Et les passages figurant courses-poursuites ou attaques de forts ne manquent pas…


La dernière réplique d’Alix est une remarque ironique sur la manière dont César ne manquera pas de présenter dans ses commentarii son échec comme un succès. Perdrait-il la foi inébranlable qu’il avait jusque-là témoignée à l’égard du grand Jules ?

C’est le principe même d’un échec de César qui m’a conduit à imaginer cet album. Quant à Alix, il faut bien qu’il évolue à travers le temps et qu’il voie les choses avec ses propres yeux. Il ne saurait rester innocent toute sa vie et ne jamais être en proie à des doutes. Je crois que ce qui m’intéresse fondamentalement, c’est l’ambiguïté. Alix fait confiance à César parce que César lui confie une mission. Mais les Gaulois lui crachent au visage parce qu’il a l’air d’être un traître. Il est celte et blond, mais il est aussi romain. En fait, oui, Alix est un personnage bien plus ambigu qu’on ne le croit : il est reconnaissant envers Rome, qui l’a adopté, mais il est tiraillé entre des sentiments contradictoires.


Le César que vous dessinez ressemble furieusement à Jacques Martin. Est-ce votre manière de dire que vous échappez à l’emprise de celui-ci, tout comme Alix échappe à celle de César ?

César a toujours ressemblé à Jacques Martin. Dans les albums mêmes de Jacques Martin. Je ne pense pas que c'était intentionnel, mais cela m'a fait penser aux apparitions d’Hitchcock dans ses films et il m’a semblé qu’il convenait de perpétuer ces clins d’œil. Si j’avais voulu m’approprier la série, je crois que c’est moi que j’aurais dessiné en César, voyons ! Ce n’est donc pas tant moi qui m’émancipe qu’Alix lui-même qui réagit face à son père créateur Jacques Martin. Il a maintenant dix-sept ans. Le temps passe...


César va-t-il mourir un jour ?

Oui, en 44 av. J.-C. ! Mais on n’ira pas jusque-là ! Il y a déjà la série Alix Senator — mais je vous accorde que c’est beaucoup plus tard. Pourquoi pas un scénario se passant la veille de l’assassinat de César ? Pour l’instant, nous nous efforçons de rester dans la chronologie de Martin. Je sais que cela représente une durée très courte, mais je ne m’y sens pas enfermé. Après tout, je n’en suis qu’à mon deuxième Alix. Et je n’ai pas le temps d’envisager autre chose. Précisons toutefois que, dans le prochain album, César ne sera pas aussi présent que dans la Dernière conquête ou dans Britannia.


Un personnage féminin joue un rôle capital dans Britannia. Était-il imposé par le « cahier des charges » ? On dirait que vous avez voulu mettre en scène une ancêtre de Boudicca.

Le seul cahier des charges que je doive respecter, c’est celui que je me fixe. Si le comité Martin me voyait faire n’importe quoi, il me ramènerait sans doute à la raison. Mais ce n’est pas un hasard si j’ai repris la série des Alix. On se plaît à dire que c’est une « série à hommes », mais chez Jacques Martin, dans le Dernier Spartiate, la reine Adréa est très belle et joue un rôle très marquant. Et on la retrouve dans le Dieu sauvage. J’ai voulu montrer comment les Bretons étaient régis à cette époque, par des druides donc — et une femme pouvait être druide, chose inconcevable pour les Romains, puisqu’ils ne pouvaient imaginer qu’une femme puisse avoir du pouvoir dans le domaine politique.

Je ne nierai pas que nous avons pensé à Boudicca. Mais je veux surtout montrer dans Britannia que les Bretons n’avaient pas besoin des Romains pour exister. On s’extasie à juste titre devant l’architecture romaine. Mais les Gaulois, les Celtes, même s’ils ne soignaient pas l’intérieur de leurs maisons, avaient un artisanat formidable. Simplement, on n’en a pas conservé grand-chose, puisque la plupart des objets étaient en bois. J’ai donc mené un certain nombre de recherches pour montrer comment, au même moment, il y a eu deux systèmes différents qui coexistaient.


Y a-t-il des choses que vous aimez dessiner moins que d’autres ? Les références iconographiques de Jacques Martin n'étaient, assurait-il, jamais cinématographiques. Quelles sont les vôtres ?

Plus le temps passe, plus je prends du plaisir à dessiner. Et à dessiner des choses variées. J’ai voulu que chaque page de Britannia ait quelque chose de spécifique (c’était moins le cas avec la Dernière conquête, puisque les décors étaient moins nombreux). Je soigne donc tout ce que je dessine, que ce soit la mer ou les intérieurs.          

Je suis très cinéphile, mais je ne veux pas succomber à la mode de certaines représentations au cinéma, parce qu’elles sont répétitives. L’esthétique du film Pompéi — assez réussi dans sa première heure, mais qui se dégrade énormément ensuite — s’inspire visiblement de celle de la série Rome. Parce qu’on redoute de déboussoler le spectateur. Je vois des séries telles que Game of Thrones pour ne pas perdre pied dans ce qui est le mode de narration contemporain, mais quand je dessine, j’essaie de m’inspirer un peu de tout, et de documents originaux. L’année dernière, une exposition sur les Gaulois m’a été fort utile. Mais je n’essaie pas d’être réaliste ; j’essaie d’être vraisemblable. Par exemple, les uniformes des Romains et des Bretons se ressemblaient énormément. Pour faciliter la tâche du lecteur, je rends les uniformes plus « uniformes » chez les Romains, ce qui ne veut pas dire pour autant que j’affuble d’une paire de cornes les casques des Bretons !


Alix will be back in…

… Par-delà le Styx. Nous suivrons Héraklion à la recherche de ses origines. Il entrera en contact avec Astyanax, devenu chef des mercenaires. L’action se situe en Tunisie. Je ne suis pas allé « en repérages », car tous les éléments romains qui se trouvent en Tunisie datent du IIIe siècle ap. J.-C. Mais à l’époque qui nous concerne, il y a dans cette région Scipion et Caton d’Utique. Le contexte est intéressant.


Propos recueillis par FAL


Jacques Martin, Marc Jailloux, Mathieu Bréda, Britannia, couleurs de Corinne Billon, Casterman, Mai 2014, 10,95€

 

Exposition autour de Britannia à la Galerie Oblique, Village Saint-Paul, 75004 PARIS, du 17 juin au 26 juillet. Planches originales de l’album, jaquette spéciale, fascicule de douze pages.

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