La sortie du livre de Sean Howe en France est un petit évènement pour les amateurs de comic books. Si les rayonnages croulent sous les encyclopédies de super-héros, il n’existe pas beaucoup de livres consacré aux éditeurs américains. Voici donc l’occasion de découvrir non seulement l’histoire de Marvel, et surtout les coulisses d’une industrie. Sean Howe entreprend de les raconter dans l’ordre chronologique : disputes, bagarres, gloire, décadence, coups bas et trahisons… Difficile de faire le tour de la question en quelques mots ; les anecdotes abondent souvent amusantes, parfois effroyables. Attardons-nous un moment sur Stan Lee, personnage essentiel quand on évoque Marvel, et omniprésent dans le livre.

 

Depuis 1961, Stan Lee a été responsable éditorial puis ambassadeur de l’éditeur. Il a contribué à propulser Marvel du rang de petite société à celui de groupe industriel multimédia. On dit généralement qu’il a créé les Spider-Man, les X-Men, les Quatre Fantastiques, Daredevil, Thor, etc. On essaie de faire croire que toutes ces merveilleuses (et lucratives) créations seraient dues à un seul homme. Si cette légende fait toujours très jolie dans un dossier de presse, nous sommes bien loin de la vérité. Stan Lee a participé, de plus ou moins près, à la conception d’une majorité des personnages forts de la Marvel des années 60, mais c’était un travail d’équipe. Et la plupart ses collaborateurs ont fait plus que leur part : il a toujours su bien s’entourer…

 

On dit aussi de lui que Stan Lee a profité du talent de ses employés et qu’il se serait enrichi sur le dos de ses collègues. Il convient de ne pas oublier certaines pratiques douteuses (par ailleurs généralisées dans l’industrie de l’époque). Comme lorsqu’il « invente » de « nouveaux » personnages portant le nom d’anciens héros des années 30-50, uniquement pour bloquer la concurrence. Un exemple parmi tant d’autres que vous découvrirez dans le livre. Mais imaginer que Stan Lee serait le diable en personne qui manipulerait à la fois les salariés et son employeur, cela tient plus de l’image d’Épinal. Dans L’Histoire secrète, Sean Howe permet de mieux comprendre comment Marvel fonctionnait. Et il en ressort que Stan Lee était un rouage du système commercial et inhumain de Martin Goodman, le propriétaire de Marvel. Stan Lee a su s’adapter et tirer son épingle du jeu, contrairement à d’autres artistes plus talentueux certes, mais nettement moins arrivistes : je pense par exemple aux géniaux Jack Kirby et Steve Ditko (qui se seront tout de même fait dépouiller de leurs œuvres par Marvel, soit dit en passant). À 93 ans, Stan Lee est l’un des derniers dinosaures de l’industrie du comic book à pouvoir témoigner de cette époque. Et dans le cas qui nous intéresse, l'histoire est souvent écrite par les survivants.

 

Il ressort à la lecture de cet excellent ouvrage, bien documenté et le plus objectif possible, que le comic book est avant tout affaire de gros sous et qu’il s’agit autant d’une industrie que d’un art. Une vision désabusée et passionnante pour qui s’intéresse à la bande-dessinée. Et autant dire que ce qu’on y découvre est loin d’être glamour. Ce livre m’a fait penser à un autre ouvrage (vivement conseillé), Le Royaume enchanté, dans lequel James B. Stewart levait le voile sur les coulisses de l’empire Disney (tiens donc !). Marvel Comics : L’Histoire secrète, en fin de compte, c’est un peu Dallas au pays de Spider-Man…

 

 

Stéphane Le Troëdec

 

 

 

Marvel Comics : L'Histoire secrète

par Sean Howe

Édité en France par Panini France (2 décembre 2015)

580 pages, couverture souple

30 euros

EAN : 9782809436819