Universitaire, écrivain, critique né en 1955, connu pour se battre contre les bien-pensants et les coteries littéraires qui ne savent que protéger une littérature creuse.

Si, vous aussi, vous n'aviez jamais été conviés aux Festins Secrets de Pierre Jourde…

Il existe des livres dont on sait, avant même d’en avoir achevé la lecture, que l’on n'en sortira pas indemne.

C’est le cas de Festins Secrets,  quatrième roman dans la bibliographie de l’écrivain, poète et essayiste Pierre Jourde.

 

Si Festins Secrets est incontestablement un grand roman, ce n’est pas tant par son imposante épaisseur (un peu plus de 500 pages) que par l'intensité de son récit.

 

Dès les premières pages nous partageons avec Gilles Saurat, jeune professeur des collèges progressiste, le compartiment du train qui l’emmène vers sa première affectation, dans « une obscure sous-préfecture d'un département de forêts et de mines désaffectées ».

Une ville dont le nom préside à la monstruosité avec laquelle elle digère les esprits de passage : Logres.

Très vite, on comprend que cet aller simple file droit au cœur d’un malaise palpable, noir autant que kafkaien, et le lecteur n’a d’autres choix que d’y accompagner le personnage principal.

 

«Freak Show» moderne et dérangeant, Festins Secrets fait étalage de l’obscénité contemporaine qui nous cerne, à laquelle Gilles Saurat va devoir confronter la candeur de son intellect : le Moloch d’une Éducation Nationale au sabir aussi abscons que ses directives sont absurdes et déconnectées de toute réalité ; les troupeaux de sauvageons suintant haine et violence par tous les pores de leur peau, à qui des enseignants inféodés tentent vainement d’inculquer les bribes d’un savoir qui sera accueilli par insultes et crachats ; la médiocrité quasi-dogmatique des références culturelles jetées en pâture à des esprits vides et vulgaires, et enfin les déviances à peine dissimulées de quelques notables aussi influents que malsains, gravitant dans le cercle intime de Mme veuve Van Reeth, mutique et fantomatique logeuse de Gilles Saurat.

 

Pierre Jourde plante son chevalet devant cet amoncellement d’ordures morales à ciel ouvert, pour nous peindre avec grand talent une fresque aussi sombre que réaliste.

Bien sûr, on serait tenté de penser que l’auteur à quand même une certaine propension à fustiger tout ce qui bouge dans son entourage — sans doute le côté «célinien» de son écriture.

Mais la densité du texte, l’intelligence de sa plume, la précision de ses images ne font que dessiller notre esprit face à la décadence d'une société qui nous frôle toujours plus dangeureusement que nous sont révélés, au fil des pages, de nauséeux secrets.

 

Festins Secrets ne se contente pas d'accéder à la facilité d’un accablant pamphlet.

L’onirisme qui peuple les errances de Gilles Saurat n’est pas sans rappeler Edgar A. Poe. La frontière n’est jamais franche entre rêve et réalité, sommeils et éveils.

Le fantasmatique s’insinue toujours plus loin que le récit progresse.

Le texte de Pierre Jourde parvient à plonger le lecteur dans un étourdissement dont on revient avec le sentiment pénible d’avoir perdu connaissance.

 

Une particularité de la narration : elle est écrite à la 2ème personne du singulier. Là encore, le trouble est insidieux. Est-ce l’auteur qui accompagne et interpelle son personnage, qu’il malmène d’un sabbat l’autre ? Gilles Saurat se parle-t-il à lui-même comme on conjure sa peur de l’obscurité en parlant à voix haute ?

 

Festins Secrets fait brillamment sourdre une angoisse que l’on croyait depuis longtemps évanouie, partie avec les monstres du placard et les bruits rampant aux plafonds des chambres la nuit. Sans doute la peur de Logres… 


Pierre Jourde, Festins Secrets, L'esprit des Péninsules, août 2005, 512 p. 23 euros.


> Lire la critique de Loïc Di Stéfano



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