À l’Est, rien de nouveau : vraiment ?

Certainement pas ! À commencer par ces jeunes écrivains qui rivalisent avec les plus grands auteurs – et que seules de petites maisons d’éditions courageuses publient – qu’ils soient polonais – à l’image de l’extraordinaire Szczepan Twardoch dont tout lecteur se devrait de lire séance tenante Morphine – ou le non moins spectaculaire Àrpad Soltész avec ce premier roman jubilatoire. Car, une fois encore, tous les deux, à l’image de leur illustre pair Gombrowicz, axent l’intensité du récit sur la même longueur d’onde que la force du style, cette manière si particulière aux écrivains de l’Est, de Dostoïevski à Gogol, de parvenir à imposer une ambiance, une couleur, un rythme dès la première page, un aimant qui colle le lecteur dans la dépendance et lui interdit de refermer le livre…
Exploit d’autant plus fameux que l’histoire est sordide – l’enlèvement d’une jeune auto-stoppeuse de dix-sept ans, dans les années 1990, en Slovaquie, et promise à un réseau de prostitution mais qui parvient à s’échapper – et le milieu dans lequel évoluent les protagonistes – journaliste confident des policiers, agents des services secrets, maffieux – pour le moins pesant.

C’est ici que l’on voit la force de l’écriture, le talent de l’écrivain. Et on devine que cet humour au second degré, ce cynisme, cette dérision affichée comme un fatalisme contre lequel on ne pourrait rien, est issu de la réalité... sauf que si, justement, en manipulant un peu les bonnes personnes, en jouant avec les salauds entre eux, on parvient à rendre justice, tout le moins à protéger la victime ; sans pour autant être dupe tant la société slovaque est pourrie, gangrenée par la corruption jusqu’aux plus hauts sommets de l’État. Amusant d’ailleurs que l’on nous bassine les oreilles à longueur de temps avec la Hongrie et la Pologne quand on voit ce qui se trame en Slovaquie.

Àrpad Soltész est journaliste avant tout, un enquêteur hors norme qui a causé pas mal de dégâts chez les méchants au point qu’il fut condamné et qu’il ne trouva son salut que par un arrêté de la Cour européenne de justice, en 2013, qui annula le jugement de 2003 sur un article soit-disant diffamatoire. Une affaire qui a fait jurisprudence et aidé les journalistes à relever la tête et à pouvoir travailler sereinement… enfin, pas tous car en 2018 Jean Kuciak fut assassiné… C’est d’ailleurs le thème de son second roman paru en 2018, Truie, en cours d’adaptation cinématographique mais non encore traduit en français.
Combattant infatigable, Àrpad Soltész a pris la direction du Centre d’investigation Jean-Kuciak, et poursuit le combat contre les ravages de la corruption…

C’est un peu glaçant quand on referme ce puissant roman noir, mais on ne peut s’empêcher de sourire aussi face au surréalisme des situations – surtout quand on sait que l’histoire est basée sur des faits réels – et on se rappelle la première page, qui résume bien le ton du livre : Les personnages sont fictifs. Si vous vous êtes tout de même reconnu dans l’un d’eux, soyez raisonnable et ne l’avouez pas. Les gens n’ont pas à savoir quel salopard vous êtes.

François Xavier

Àrpad Soltész, Il était une fois dans l’Est, traduit du slovaque par Barbara Faure, Agullo Noir, septembre 2019, 310 p.-, 22 €

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