Hugo Lindenberg en quête de sens

À quoi sert un moment ? s’interroge le narrateur, petit garçon de dix ans qui s’épuise les nerfs à chercher au plus profond de son être ce qui pourrait justifier qu’il est un garçon, ce qui pourrait combler le vide de l’absence de ses parents, ce qui pourrait tuer cette peur qui l’habite continuellement et le force à maintenir une concentration permanente pour afficher cette intention de garçon, de ce qu’il imagine être un garçon, dans sa gestuelle, son phrasé, ses idées, ses désirs… Et la place qui doit être la sienne au sein du ballet inachevé des conventions humaines, d'ailleurs, quand il est seul, il se fige sur sa serviette des heures durant à espionner les vacanciers, tentant de découvrir comment se comportent les gens "normaux"...


Passant l’été avec sa grand-mère et sa tante dans la Manche, il joue tout seul sur la plage, étudiant consciencieusement l’art de disséquer une méduse échouée sur le sable quand, au bénéfice d’un contre-jour protecteur, une ombre se manifeste pour se matérialiser en un autre petit garçon, Baptise. Insouciant, joyeux et innocent, il l’entraîne avec lui pour se baigner puis lui présente sa sœur, son père et sa mère. Délicieuse femme au parfum suave que le jeune garçon va idéaliser, cherchant à attirer son attention, se projetant dans des fantasmes de famille aimante et enjouée où la vie semble se dérouler normalement, où tout paraît être à sa place, et les silences aussi légers qu’une plume, affichant cette harmonie heureuse qui lui fait tant défaut…

Voilà un premier roman qui mérite un grand coup de projecteur – voire un prix – tant il révèle un auteur talentueux qui fait honneur à la littérature. Par le prisme du regard d’un enfant, il nous ensorcelle par sa langue épurée qui avance à petits pas dans un théâtre d’ombres, suscitant des visions d’épopées épiques quand il ne s’agit que d’une colonne de fourmis dérangée par l’appétit violent du narrateur ou d’une méduse translucide. Dans un rythme qui serait presque du pointillisme en peinture, Hugo Lindenberg dépose détails et mouvements d’ensemble dans un imperceptible sfumato qui offre un plaisir de lecture sans précédent. Les décors s’inscrivent dans l’arrière-plan et l’on est ce narrateur d’une dizaine d’années qui lutte contre lui-même pour remonter le courant de la vie dans laquelle un fâcheux destin l’a plongé. Tel le saumon d’Umberto Eco, la méduse scelle le rapport avec la mort qui foudroie les appétits d’avenir en renvoyant à hier celui qui ne vit qu’au présent, ce temps libre passé avec Baptiste dans une parenthèse arrachée à la réalité.

Mike Brant chante : Qui saura me faire oublier ma seule raison de vivre et les sables mouvants des Vaches Noires piègent toujours les innocents naïfs. Soit, mais si le fantôme de Hölderlin – À quoi bon des poètes dans des temps de détresse – plane sur nous plus que jamais en ces temps de pandémie, il nous faut, justement, des poètes pour nous redonner goût à la joie vive d’être ici-bas, sur cette Terre. Et quoi de plus prégnant que la lecture ? Pas nécessairement en baume mais en catharsis du chaos ambiant pour mieux le combattre.

François Xavier

Hugo Lindenberg, Un jour ce sera vide, Christian Bourgois éditeur, août 2020, 176 p. -, 16,50 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.