Derniers vestiges que ces Trois Médinas présentées par Alexandre Orloff & Salah Stétié

Il fallait pouvoir marier par le texte la splendeur des trois médinas les plus emblématiques du Maghreb à jamais immortalisées par les photos d’Alexandre Orloff. Sous la bannière de l’UNESCO, voilà vingt-cinq ans, le photographe américain a saisi la grâce de ces lieux et constitué un document unique sur l’héritage culturel des médinas maghrébines en leur dimension architecturale, artistique et humaine. Une richesse qui s’éteint petit à petit sous les coups de la modernité et face à la déshérence du public pour ces sites pourtant magiques. Des clichés d’une grande beauté qui ont valu à Orloff de recevoir le prix Kodak de la critique photographique.


Comme toujours avec ce genre d’album en provenance de l’Imprimerie nationale on est foudroyé dès l’ouverture : trois double-pages pour les trois villes qui vont accueillir le lecteur le temps d’un voyage dans le temps, mille et une surprises au détour des pages pour atteindre le cœur du rêve qui, malgré les années et les déferlantes de touristes, "est demeuré le même, amarré à des grands signes. Ce livre [qui] donne à voir et à lire la teneur de ce rêve et un peu de son éternité."

 

La médina, c’est bien le cœur de la ville voire son poumon où respirent toutes les saveurs, où circulent toutes les substances. C’est la ville dans la ville puisque médina veut dire ville, vieille ville ici étant donné cet urbanisme galopant qui a fait exploser les centres-villes et imposer le pouvoir de la banlieue sous toutes les latitudes… La médina est une ville première, la pierre originelle sur laquelle tout s’est bâti : l’arbre architectural pour abriter les Hommes, l’arbre philosophique pour les conduire et l’arbre économique pour subvenir à leurs besoins.


Si les images ont ici la valeur entière d’un essentiel, elles ne sont pas que le témoignage d’un état et n’auraient, seules, pu porter tout le poids de l’histoire de ces mondes si complexes. C’est pourquoi le texte éminemment poétique et érudit de Salah Stétié apparaît comme une évidence  pour qui connaît son style précis et musical pour rendre l’harmonie des villes au rythme du périssable et de l’éternel… Car derrière chaque photographie la "réalité palpitante et vivante des heures qui furent et se poursuivent au-delà du moment où ces images ont été prises, n’ont d’autres visées que de fournir à tout amateur de villes un tout premier trousseau de clés […]."

 

Ces trois médinas sont trois indépendances, trois symboles d’une forme de résistance. "On sait que l’exemple de l’Algérie combattante, dont l’étincelle est partie de la casbah d’Alger, a pro-voqué d’autres incendies splendides dans le monde." Laquelle fut inspirée par l’irréductibilité marocaine. Quant à la paisible Tunis, sensible aux idées d’émancipation, elle n’a pas hésité à accueillir la direction de l’OLP chassée du Liban par des armées étrangères.

Mais n’allez pas tirer des conclusions hâtives sur une configuration architecturale d’un espace mesuré qui aurait influencé les esprits pour les porter vers d’autres contrées plus… libres. Au contraire, témoigne Salah Stétié, lui qui les a visitées, a arpenté ruelles et venelles jusqu’à s’y perdre à loisir comme l’on s’amuse à s’égarer à Venise, "ces médinas […] ne souhaitent rien tant […] que demeurer nouées par leurs beaux nœuds comme si elles étaient elles-mêmes l’un de ces tapis de basse lisse qui naissent magiquement, point contre point, sous les doigts admirablement ingénieux de leurs patients artisans avant que d’être négociés et vendus dans les magasins plus ou moins bien éclairés de leurs souks."

 

Trois villes donc, trois destins qui auront inspiré les concepteurs, les artisans qui ont travaillé à leur réalisation, des merveilles d’architecture – mosquées, écoles coraniques, portes monumenta-les, coupoles, plafonds – qui se déploient sous nos yeux éblouis, alternant avec des vues panoramiques et des détails décoratifs d’une grande complexité. À Fès, la célèbre mosquée Al-Qaraouyîne affiche une parfaite synthèse de tous les courants artistiques de l’art médiéval en islam ; la suprême élégance des medersas Bou-Inania, el Azzarine, Sahrig aux fenêtres de bois sculpté… auxquel-les répondent, à Tunis, les marbres des mosquées Ez-Zitouna et Hammouda Pacha ou de la medersas Suleymaniya à la coupole d’une finesse inégalée. Les palais de la casbah d’Alger ne sont pas en reste ! Notamment celui du Raïs, aujourd’hui restauré, ceux du dey et du bey, zelliges, miroirs et stucs de Dar Hassan Pacha et Dar Bekri rivalisent de luxuriance avec le splendide Dar Husseïn de Tunis ou, à Fès, le palais du Glaouï et le Dar Chergui et son ryad aux célèbres fontaines…

La profusion des matériaux – marbre, céramique, stuc, verre, bois – et les multiples influences stylistiques – italienne et turque à Tunis, andalouse à Alger et Fès – chassent toute idée de monotonie et procurent au lecteur patient un émerveillement à chaque page.

 

Trois villes d’une Afrique méditerranéenne qui est aussi la matrice de civilisations, trois villes qui donnèrent la vie à une culture prodigieuse qui remonta jusqu’en Andalousie et dont témoignent encore certaines lieux extraordinaires comme le palais de l’Alhambra… Trois médinas demeurées fidèles "à cette image d’elles-mêmes qui les surplombe et flambe en couronne allégoriques de lumière au-dessus de leur tête. Ce songe est l’objet de ce livre : les photographies ne veulent que le perpétuer."

 

 

François Xavier

 

Alexandre Orloff / Salah Stétié, Les Trois Médinas – Tunis, Alger, Fès, Imprimerie nationale Éditions, septembre 2011, 294 p. - 70,00 euros

 

Aucun commentaire pour ce contenu.