Consoler Schubert ou combattre la mélancolie ?

Weltinnenraum, disait Rilke, cet espace intérieur du monde, qui devrait nous ouvrir les portes du bonheur mais qui réserve bien souvent souffrance et déception, tant l’amour attendu, recherché, souvent trop fulgurant, passionnel, victime aussi de nos fantasmes, s’avère un miroir aux alouettes qui ne peut s’épanouir que dans l’absence de l’autre, dans le rêve éveillé d’un ailleurs sans que rien ne permette de l’atteindre. Un petit voile recouvre le regard, la désillusion est aussi déflagrante qu’une grenade défensive et l’on se jette au bras de la première bouée de sauvetage qui passe, on prend à peine le temps de réfléchir et trente ans sont déjà passés que la vie monotone aura réduit en cendres, ne laissant submerger du bouillon de viscères qu’un ou deux icebergs scintillants qui réfléchissent les strates miroitantes d’un souvenir, d’une réminiscence amoureuse qui ne veut plus dire son nom…

Il en va ainsi des femmes et des hommes, bercés de trop d’illusions, d’idées reçues, de devoirs moraux ou de peur du lendemain ; plus belle sera l’histoire avortée que de prendre le risque de se brûler les ailes du cœur à côtoyer l’amour avec son grand A qui n’est, finalement, si l’on suit les biologistes, qu’une réaction chimique de plus et s’envole alors toute la psyché liée à la spiritualité universelle que l’on donne par les mots à ce désir trop fort de l’autre.
Comment s’enhardir alors de ce fardeau trop lourd ?
Notre héroïne, dentelière de son état, plongera dans la grande musique, mais mal lui en prend de choisir Schubert qui, tout virtuose qu’il est, n’enchante pas comme Bach mais pousse plutôt au suicide comme Rachmaninov – lequel, d’ailleurs, composa ses célèbres concertos pour piano sur les conseils de son psychiatre pour ne pas en arriver à l’ultime choix.

Nous devons donc, coûte que coûte, quoi qu’il arrive – et bien souvent c’est le pire auquel il faut s’attendre – recouvrer une direction en nous allégeant du fardeau du monde, en oubliant soupirs et désirs pour essayer de tendre vers un essentiel qui ne dit pas son nom ; recouvrer l’idée de la légèreté de l'être de Milan Kundera et abonder dans l’idée de Schubert de laisser aller toutes choses, ainsi qu’il leur convient d’aller…  Être en résonance avec soi, pour le meilleur – et pour le pire, mais rien n’empêche de l’oublier celui-là ! – et d’être dans l’ouvert au monde, celui qui pétille de chants d’oiseaux, brille de paysages somptueux, bruisse de certaines âmes non totalement dénuées d’intérêt, qu’une rencontre hasardeuse pourrait appeler à plus si affinités… électives ; d’ailleurs Goethe n’est pas loin dans ce drôle de roman, écrit dans des nuances de tons musicaux, en miroirs de deux destins qui se déplacent parmi les siècles, parallèle d’une quête impossible dans l’éternel espoir.
Parions que demain sera plus beau…

 

François Xavier

 

Sandrine Willems, Consoler Schubert, Les Impressions nouvelles, août 2020, 140 p. -, 15 €

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